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Détresse des hommes.  

LUNDI 28 MAI 2012 

COMMUNICATION DANS LE COUPLE 

 Les Clefs de la Communication  
 
Bien parler d'amour exige une discipline, une ouverture, mais aussi la maîtrise de certaines Clefs de la communication aimante. 
 
Jacques Salomé appelle ces Clefs "les règles d'hygiène relationnelle". 
"il faut sortir du On pour accéder au Je, donc passer de la fusion à la différenciation. "il ne faut pas parler sur l'autre, mais à l'autre". 
Cela veut dire parler de Soi, de son ressenti, de ce qui a été réveillé par l'autre. 
 
Il ne faut jamais se défausser sur les sentiments quand nous avons un différend relationnel: "mais moi je t'aime, si tu m'aimais vraiment, tu n'aurais jamais fait ça...". À mon avis, les problématiques relationnelles doivent se régler dans la sphère relationnelle". 
 
"Il faut prendre la responsabilité de ce que je dis, de ce que je fais et en ayant en face de soi quelqu'un qui prend la responsabilité de ce qu'il entend, de ce qu'il va en faire." 
 
"Il faut permettre à l'autre (et oser pour soi) de dire son ressenti. Nous restons trop souvent coincés sur les faits. Ce n'est pas ce qui arrive qui est important, c'est comment on le vit." 
 
"Il faut savoir que toute relation intime réveillera, remettra à jour l'ex-enfant qui est en nous. C'est ainsi qu'à la table conjugale, dans la voiture qui descend vers le Midi des vacances ou dans le lit, nous avons parfois un adulte et un ex-enfant blessé, humilié apeuré ou encore terrorisé par le réveil de son passé. Il faut accepter la présence de cet ex-enfant et l'entendre, lui faire une place à certains moments de la vie de couple" 
 
Prendre soin de l'Amour 
 
Prendre soin de l'amour et l'aimer, c'est possible. Cela se fait en entretenant des relations de qualité dans lesquelles les messages positifs circulent davantage que les messages toxiques. 
 
"Il s'agit des relations dans lesquelles les quatre ancrages d'une relation vivante sont présents: oser demander (sans exiger), oser donner (sans mettre l'autre en dette), oser recevoir (sans se transformer en poubelle) et oser refuser (pouvoir dire non), en précisant que ce n'est pas à la personne que nous disons non, mais à sa demande!" 
 
RÉAPPRENDRE À AIMER 
 
Parfois, la vie fait aussi qu'il faut apprendre à se réconcilier avec l'amour. "C'est apprendre à s'aimer et à respecter les sentiments qui surgissent en nous en direction de l'autre. C'est ne pas se laisser enfermer dans des pseudo-amours (j'aime non pas l'autre, mais l'amour qu'il a pour moi, "J'aime" par peur de la solitude, d'être quitté, d'être abandonné; j'aime en voulant à tout prix qu'il (ou elle) m'aime, qu'il arrête de boire, d'avoir d'autres relations, qu'il soit plus gentil....). 
 
C'est aussi savoir accueillir, amplifier l'amour de l'autre quand il se dépose sur nous. C'est quand nous acceptons de donner le meilleur de soi et de rencontrer le meilleur de l'autre. 
 
 
LUNDI 21 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 77e partie 
RELATION CONFLICTUELLE 
 
Les conflits font peur. La tendance ou le réflexe est de croire que le conflit est mauvais en soi et qu’il doit être évité à tout prix. La plupart des individus associent le mot « conflit » avec querelle, bataille, bagarre, dispute, guerre et violence. Il suffit de demander à un groupe d’individus de faire une association d’idées sur le mot « conflit » pour se rendre compte de la connotation négative qu’on lui donne. Par ailleurs, un conflit peut être également source de changement et occasion de dépassement. Il ébranle les croyances, interpelle le statu quo et exige la remise en question continuelle des règles de conduite. Le conflit, dans ce sens, a une double nature : il est créatif et source de changement ou encore source de malheur et souvent de catastrophe lorsque non résolu. Le caractère chinois pour le mot conflit est composé de deux signes superposés : l’un veut dire danger et l’autre opportunité. Le danger est de demeurer dans une impasse qui draine les énergies individuelles; l’opportunité est d’envisager des options et de s’ouvrir à des possibilités qui vont permettre de façonner de nouveaux rapports entre les individus et d’inventer de nouveaux moyens de gérer les problèmes quotidiens. Quand les conflits interpersonnels ne sont pas résolus, les individus ont tendance à épouser le conflit au lieu de le dépasser. 
 
Le conflit interpersonnel a déjà été défini comme un événement joué par des acteurs interdépendants qui poursuivent ou se perçoivent comme poursuivant des buts différents. Ce n’est ni bon ni mauvais en soi; c’est une communication entre des individus. Dans ce sens, les conflits sont inévitables dans les rapports humains. Ils permettent des rapports sains entre les individus. Dans ce sens, les conflits sont inévitables dans les rapports sains entre les individus et doivent être vus comme faisant partie de la vie de tous les jours et résolus d’une façon positive. Lorsque les individus ne peuvent résoudre leurs conflits eux-mêmes, ils peuvent recourir à une tierce personne pour les aider. Il existe plusieurs méthodes de résolution des conflits. La conciliation, la négociation et l’arbitrage sont des moyens connus et utilisés par les parties qui ont des litiges à solutionner. Quant à la médiation, elle implique l’intervention demandée et acceptée d’une tierce personne impartiale et n’ayant pas l’autorité de prendre la décision, dans le but d’aider les parties à s’entendre sur une solution mutuellement acceptable. 
 
Pour Justin Lévesque, son interprétation est de suggérer une opérationnalisation des concepts théoriques réelles à l’utilisation positive des conflits. En d’autres termes, comment peut-on en arriver à une application concrète ou à un modèle de gestion efficace des conflits interpersonnels? La médiation offre des éléments de réponse qu’il convient de considérer. Dans un premier temps, la nature des conflits, les différents types de conflits interpersonnels et les réactions à ces conflits seront explorés. Dans un deuxième temps, la médiation et les stratégies de résolution des conflits seront exposées et les techniques de négociation utilisées par le médiateur dans la gestion des conflits interpersonnels seront discutées. Les propos et techniques suggérés dépassent le champ de la médiation familiale même si celle-ci sera l’objet principal de référence. 
 
JEUDI 17 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 76e partie 
CONFLIT DANS LA RELATION 
 
 
Le conflit interpersonnel existe toujours en médiation puisque deux parties poursuivent des objectifs opposés. La question est de savoir ce que l’on fait avec le conflit. Comment le gère-t-on? Comment l’utilise-t-on? Les conflits font partie de la vie et sont des occasions de façonner de nouveaux rapports entre les individus et d’inventer de nouveaux moyens de gérer les problèmes quotidiens. Le défi est de savoir comment les utiliser d’une façon productive. Les individus trouvent des nouvelles avenues lorsque l’on cesse de voir le conflit comme une bataille à gagner mais plutôt comme un problème à régler. Une conception positive des conflits et l’utilisation de la médiation pour les gérer sont les éléments de la médiation pour les gérer sont les éléments-clés d’une intervention qui vise à promouvoir le bien-être individuel et social. 
 
De plus en plus, la médiation s’impose dans le champ des relations humaines. Des expériences de médiation ont été tentées avec succès dans les écoles pour minimiser l’impact négatif des conflits interpersonnels et permettre des relations harmonieuses entre les différents groupes. Les conflits entre les parents et les enfants peuvent également bénéficier des mécanismes de collaboration suggérés par la médiation. Elle favorise l’utilisation formelle ou informelle d’une tierce personne pour gérer efficacement les différends interpersonnels. Elle présuppose des habiletés de communication, un contrôle du processus et une transformation des éléments du conflit. Le recours à une tierce personne pour gérer les litiges n’est pas la seule solution possible. Cependant, lorsque les ponts sont brisés et que la communication interpersonnelle est inefficace, la médiation offre des possibilités d’une gestion constructive des conflits. 
 
 
La communication est le véhicule de l’expression du conflit. La reconnaissance du conflit et l’expression de celui-ci sont les premiers pas vers sa gestion. On sait que les conflits non exprimés sont impossibles à gérer et résultent en des frustrations qui conduisent à la rupture de la relation interpersonnelle. En plus d’une capacité à évaluer les éléments d’un conflit, à identifier les intérêts en jeu et à susciter la motivation à une meilleure gestion des conflits, le médiateur se doit d’être un communicateur habile qui sait utiliser le processus et le contenu de l’échange pour favoriser une interaction constructive. Sans craindre le conflit, il doit naviguer dans des eaux troubles et utiliser toutes ses ressources pour permettre aux parties de dépasser le désir de vengeance et d’agressivité pour les centrer sur la tâche à accomplir. Les principes exprimés précédemment seront précieux. Le rôle du médiateur n’est pas de manipuler les individus ou de réduire le conflit mais bien d’en faciliter la gestion immédiate et d’établir des procédures pour la gestion de tels conflits dans le futur. La tâche du médiateur est de favoriser un climat où les parties seront dans une disposition d’esprit qui leur permettra de s’ouvrir aux possibilités qui s’offrent à eux. Les techniques de communication doivent être utilisées pour réduire les obstacles à une compréhension des enjeux et à une recherche des intérêts mutuels. Il existe plusieurs approches et techniques de communication qui peuvent susciter cette coopération. Le défi est de concilier les intérêts personnels et les intérêts communs. Le médiateur doit être en mesure d’influencer le processus pour faire avancer le débat et promouvoir une gestion des conflits qui tiendra compte des besoins, des valeurs et des intérêts de tous les acteurs concernés. 
 
MARDI 15 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 75e partie 
CONFLIT CONJUGAL 
 
 
Comment alors subir ces violences sans que monte une colère, voire une rage intérieure qui cherche des issues pour éclater? « Ce qui est enfermé dans le cœur devient grande colère » dit un grand maître japonais. Certains êtres écorchés survivent : ils vivent dans leurs fonctions biologiques mais ils agonisent parfois dans leur vie psychique….Être mort vivant, ne pas pouvoir développer ses ressources endormies parce que le vécu d’enfant a dépassé les capacités d’absorption : n’est-ce pas là la pire violence qu’un être humain peut subir? Nous pouvons alors mieux comprendre que des victimes deviennent à leur tour bourreaux, qu’ils s’arment contre le ressentir douloureux et passent à l’attaque à leur tour, comme s’ils criaient dans l’agir : « Voyez ce qu’on m’a fait! » 
 
Comment, alors, briser le cycle répétitif de cette course à relais d’une génération à l’autre? Des cliniciens chevronnés se sont penchés sur ce phénomène humain, à commencer par Sigmund Freud, puis Silma Fraiberg, Arthur Janov, Jack Lee Rosenberg, Alice Miller et d’autres. Touts ont parlé de l’importance de liquider les émotions liées au souvenir douloureux afin de pouvoir vivre enfin le présent d’une façon dégagée, et ainsi éviter de reproduire le scénario stérile. 
 
Selon moi, la voie royale pour la prévention de la répétition intergénérationnelle est, par conséquent, de permettre aux enfants, dès leur jeune âge, de s’exprimer sur les événements qu’ils vivent et les émotions liées, leur livrant ainsi le message qu’il est permis de ressentir, et qu’il est bienfaisant d’exprimer ce ressentir pour s’en délivrer. La parole prend sens de communication; elle ne se limite pas à un langage utilitaire ou exhibitionniste. À chaque fois qu’elle se présente, une telle communication par la parole pleine devient un pas de plus vers la confiance dans les relations humaines, donc une prévention contre la fermeture sur et par là même, contre la répétition. Et la présence de cet espoir est essentielle lorsqu’arrive un coup dur. 
 
Mais lorsque la répétition est déjà installée, l’antidote – i.e. le moyen de briser ce cycle de douleur subie et infligée – est, selon moi, l’engagement dans une démarche personnelle vers un changement de cap…démarche très difficile parce qu’elle implique un déséquilibre majeur entre le connu et l’inconnu : la personne désirant mettre fin à la reproduction de comportements problématiques se retrouve acculée à l’évidence de devoir effectuer des modifications importantes dans sa vie. Il s’agit d’une démarche lourde d’exigences en temps et en énergie, lourde aussi en conséquences; elle requiert souvent une aide professionnelle appropriée. Les trajets empruntés ne se font pas nécessairement de façon successive, mais ils représentent des portes d’accès possibles au changement: 
 
Prendre conscience de la répétitionConstater l’emprise du cycle répétitif; être déterminé à en sortir, c’est d’abord prendre conscience de ce qui se rejoue dans sa propre vie et des moyens adoptés jusque là pour se protéger de la souffrance. En considérant ce qui est répété, comment où et avec qui, on peut dire que déjà, l’exorcisme du passé est commencé. 
 
S’autoriser à se souvenir 
Reconnaître son histoire, en revenant sur les faits passés, au risque de briser ainsi l’illusion d’une enfance totalement heureuse. Se souvenir des blessures subies (physiques, psychologiques), et peut-être aussi infligées à d’autres; mettre en images et en mots, sans minimiser, sans nier les passages difficiles; reconnaître les failles du système familial, les siennes aussi bien que celles des objets d’amour idéalisés….Cette démarche ne se fait pas sans un sentiment désagréable de manquement à la loyauté, mais aussi de reconnaissance de ses propres limites. 
 
Toutefois, mettre à jour le passé ne le transforme pas ou ne l’efface pas; croire que le fait de s’en souvenir puisse en « débarrasser » le sujet, serait en nourrir une autre illusion tout aussi dommageable. 
 
S’autoriser à ressentirRetourner un passé laissé en suspens. Laisser monter les sentiments douloureux liés à certains souvenirs et les exprimer, c’est faire place au devenir, dégager un espace pour construire, vivre sa génération plutôt que d’emprunter les dédales tortueux et stériles transmis par la précédente. 
 
VENDREDI 11 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 74e partie 
LA SOUFFRANCE RELATIONNELLE 
 
 
Les couples se présentent souvent en thérapie en se plaignant d’incompatibilité de caractère, de divergence dans leurs idéaux et leurs valeurs, d’un sentiment d’étouffement, ou de la crainte d’être abandonnés. Derrière ces souffrances se cache une répétition traumatique des enjeux infantiles réactualisés dans les composantes défensives de leur collusion inconsciente. Ces impasses les paralysent autour d’une même problématique non résolue. 
 
COLLUSION : CONCEPT 
Dans notre société post moderne, les références sont plurielles. Certains ont une vision romantique du couple, issue de la lecture des classiques. D'autres nourrissent à son égard des préjugés qui datent des années 60 et 70, aux couleurs de la révolution sexuelle et du conflit des générations. Pour d'autres encore, le couple est une association qui n'existe que pour satisfaire une volonté d'affirmation sociale. Enfin, il y a ceux qui ne désirent que des histoires d'une nuit, et , inversement, ceux qui espèrent que l'union couronnera le rêve de leur vie. 
Dans le foisonnement de ces attitudes, il est devenu impossible d'identifier la direction qu'emprunte la modernité: nous avons tous raison ou tous tort, selon les circonstances. 
Mais, quels qu'ils soient, ces modèles ont à se confronter au cadre d'une société de consommation qui accorde de moins en moins de place au privé et à la préoccupation morale. Le couple romantique n'existe donc que dans l'imagination. Dans la réalité, il est écrasé par les impératifs du quotidien. 
 
1. LE COUPLE ET LA COLLUSION INCONSCIENTE  
 
 
Quand le corps est malade, le diagnostic est rapide et le traitement à portée de main. Lorsqu’il s’agit d’un couple, l’issue du pronostic est beaucoup plus incertaine. La complexité des interactions humaines étant un labyrinthe dans lequel même le médecin de l’âme le plus expert risque de se perdre. Les fonctions que l’inconscient attribue à l’union ramènent aux images de l’enfance, qui sont celles vers lesquelles on régresse en cas de crise. À ces démons du passé que nous décrirons volontairement en faisant référence aux figures mythiques étudiées par la psychologue Jungienne, VERENA KOST, on demande parfois de compenser ou de réparer une souffrance, ou encore de se répéter tout simplement dans le temps. 
Dans ces lignes, nous limiterons notre examen à quatre types de couples en lutte, en nous inspirant des travaux du psychiatre ZURG WILLI. Si par hasard vous vous reconnaissez dans l’une de ces typologies, ne vous alarmez pas : le fait qu’une relation soit saine ou non ne dépend pas de son appartenance à l’une de ces catégories, mais à l’intensité de la collusion en cause. 
 
L’AMOUR COMME FUSION : LA COLLUSION NARCISSIQUE  
Pour former un tel couple, un narcisse ne suffit pas, il en faut deux : un qui exhibe son narcissisme et un autre qui l’inhibe. Pour l’un comme pour l’autre, la pathologie est la même. 
Le monde est plein de ces narcisse expressifs. On les reconnaît au premier coup d’œil; dès la première rencontre, ils racontent tout d’eux-mêmes. Ils posent parfois des questions, non par curiosité, mais dans le seul but de souligner l’infériorité de leur interlocuteur. Ils n’ont qu’un désir, que l’on s’intéresse à eux, et même plus : que l’on voit en eux des êtres extravagants, pervers, révolutionnaires ou géniaux. Ils ne demandent qu’une chose, qu’on fasse savoir ainsi à quel point ils sont extraordinaires. Les narcisse vivent de l’admiration d’autrui, ce qui leur fait rechercher la compagnie de personnes insignifiantes, qui ne leur proposent que le reflet d’eux-mêmes.  
 
Fragiles, les narcisse expressifs ont besoin d’être admirés. Incertains de leur propre valeur, ils ne peuvent voir en l’autre que le simple instrument d’une confirmation du soi, et non pas un individu autonome. Ils s’entourent donc de béni-oui-oui et laissent flotter autour d’eux un halo de démocratie marquant leur autoritarisme : leur monde n’est fait que d’amis ou d’ennemis, qui sont, selon le cas, une source d’harmonie ou la cible d’une amertume et d’une agressivité débordantes. A ces derniers, ils livrent de véritables guerres saintes, et enrôlent tous leurs amis affectés sans exception à la dévotion exclusive du général. Il est inutile de préciser que le plus petit signe de dissension signifie la fin de leur amitié. Par définition, un narcisse expressif entretient un rapport de collusion violente avec tout le monde, sans excepter son partenaire inhibé, celui que le jargon médical définit comme un « schizo ide empathique : » Celui-ci n’attend que la reconnaissance de son talent caché d’écoute, qui lui permet de conquérir la confiance d’autrui. Quand deux archétypes de ce genre se rencontrent, c’est l’amour à coup sûr. 
 
Avant de s’aventurer dans les dédales de ce rapport, il est bon de faire un petit retour aux origines de la structure narcissique. Elle est propre aux individus que leur mère a empêchés d’acquérir un soi autonome et qui ont dû apprendre à décrypter ses moindres désirs de peur de ne pas être aimés en retour ou d’être taxés d’ingratitude. 
 
Le couple narcissique reproduit le modèle : l’un des partenaires y abdique en faveur de l’autre. Mais tous les narcissiques n’ont pas le même bonheur en amour. Et ceux qui ne rencontrent pas le bon comportement connaissent des destins divers et variés. 
Certains restent attachés à l’objet principal de leur désir, leur mère. D’autres se rabattent sur des prostituées qui leur offrent contre de l’argent des prestations sexuelles qui répondent à leurs désirs : pour d’autres encore, l’onanisme permet de débrider l’imagination. Ce que les relations humaines qu’ils entretiennent habituellement leur interdisent, puisqu’elles mettent en jeu une personne autre, aux rythmes et aux manières qui leur sont propres. D’autres enfin, officiellement unis, vivent des passions narcissiques parallèles et leurs amants doivent être extrêmement stimulants pour mériter les cadeaux que le narcisse aime dispenser avec beaucoup de fierté. Une seule chose est interdite à ces amants d’un jour : compliquer la vie. 
 
Les vrais amours narcissiques sont quant à eux de véritables coups de foudre. Malheureusement, ils sont passagers. Notre narcissique expressif n’étant capable de se livrer totalement que pendant peu de temps, la fée qu’il choisit se transforme rapidement pour lui en sorcière sans intérêt petit à petit exclue de son monde affectif. La personnalité narcissique de type inhibé favorise son autocritique qui veut qu’elle ne mérite pas l’amour de l’autre, et se mésestime. Le fait même d’avoir été choisie la rend prête à n’importe quel sacrifice. Elle rêve de se perdre dans l’autre, dont elle égrène dons et succès, sans laisser la moindre place à un autre type de rapport humain. 
 
C’est le cas de Marthe, une femme de quarante ans que m’a envoyée un gynécologue parce qu’elle refuse depuis six mois tout rapport sexuel. Elle est déprimée et elle a pris du poids. Selon ses dires, son mari Laurent est coupable de tout. Il a quinze ans de plus qu’elle et la retraite anticipée l’a transformé en véritable tyran. C’est du moins la façon dont elle le décrit lorsqu’elle raconte à quel point les exigences sexuelles de son mari ont augmenté. « J’ai du temps libre; profitons-en » semble t-il dire avant de harceler littéralement sa femme. Elle souligne que cette Satyriasis n’est que la dernière d’une longue suite de brimades. Il a commencé par l’empêcher de travailler, la privant ainsi de son seul espace d’autonomie. Puis il l’a contrainte à subir une stérilisation sous prétexte de ne pas augmenter la progéniture qu’il a eu d’un premier lit. Enfin, il a fini par l’obliger à vivre sous le même toit que sa belle-mère. À tant de violence s’ajoutent des relations sexuelles insatisfaisantes : l’éjaculation précoce est le seul épilogue possible des rapports intimes avec Laurent. 
Pourquoi Marthe reste-t-elle avec un tel homme? Le seul mot qui me vienne à l’esprit, à l’écoute de l’histoire de sa vie, est celui de masochisme. Cette femme a en effet passé son enfance à s’occuper de son père aveugle. Infirmière de métier et de cœur, elle a réalisé bien tard que son mari n’était guère que le dernier d’une longue liste de personnes qu’elle a assistées depuis toujours. Laurent a certes pourvu aux besoins matériels de la famille, mais son comportement affectif a largement compensé cet échange. Avant d’en avoir une perception claire, Marthe a ressenti cette collusion narcissique dans son corps sous forme de migraines et d’un refus total de la relation sexuelle. Il ne s’agit là que du premier « non » qu’elle devra apprendre à prononcer afin de recouvrer son bonheur.  
 
L’AMOUR COMME NOURRITURE RÉCIPROQUE : LA COLLUSION ORALE  
La collusion orale tourne autour de la thématique de la sustentation réciproque. Imaginons que les partenaires soient une mère et son fils. La première doit continuellement répondre aux besoins inépuisables de l’autre. Elle jouit de l’apaisement de son enfant après la tétée, et lui de la nourriture qu’il a reçue. 
 
La relation mère-enfant est la première expérience de la réciprocité. Certaines mères sont tellement remplies d’amour pour leur enfant, qu’elles se sentent offensées et frustrées lorsqu’arrive le moment où il ne se laisse plus manipuler passivement comme une poupée, première séparation qui leur procure un sentiment d’infériorité et de dépression. Le rôle que l’enfant joue dans cette relation, est important. Nous l’imaginons souvent comme une victime inerte : en réalité, il a toute la force de ses cris et de ses caprices pour s’opposer à sa mère. S’il n’évolue pas, sa personnalité orale adulte cherchera un partenaire qui le soignera et s’occupera de lui comme le faisait sa maman. Parfois cette avidité se transforme en boulimie. 
 
Paradoxalement les personnalités orales finissent par haïr ceux qui satisfont à leurs désirs, parce qu’ils sont le témoignage vivant des besoins dont ils sont esclaves. Leurs partenaires idéaux sont donc rarement pétris d’ambitions personnelles. JURG WILLI explique qu’ils ont une prédilection pour les gros pulls, les grandes écharpes, bref, pour tout ce qui leur confère un sentiment de sécurité. Ils aiment la chaleur, s’assoient volontiers devant un feu de cheminée et aiment vivre dans des maisons lambrissées ou remplies de meubles en bois. On est frappé par la hâte avec laquelle ils se mettent à la disposition des autres. Mais leur désintéressement n’est qu’apparent. Ils craignent en réalité que la relation se rompe, si jamais on les trouvait inutiles.  
 
Le rôle du bébé est tenu par celui des deux qui ne parvient pas à s’identifier au rôle maternel, les frustrations vécues avec sa mère ayant été trop nombreuses. Les fonctions maternelles sont donc transférées sur le partenaire qui doit correspondre à l’image idéale d’une mère gratifiante. En revanche, celui (ou celle ) qui assume le rôle maternel cherche sans arrêt à prendre soin de l’autre, n’étant pas capable de s’occuper de lui-même. En projetant sur l’autre le rôle du nourrisson, c’est son côté enfant qu’il prend en charge. Dans une telle collusion, le « bébé » vit une situation de régression. La « mère » de progression. Le premier renonce volontiers à une relation horizontale et compense sa position d’infériorité par toute la « nourriture » qu’il reçoit. Le partenaire-mère éloigne le danger de la régression, en maintenant l’autre à la place infantile qu’il refuse d’occuper lui-même. Le couple ne risque la rupture que lorsque l’envie prend le dessus. La « mère » est alors jalouse de l’attention portée à « l’enfant » qui est à son tour angoissé par la position régressive dans laquelle il est tombé. Ce n’est pas par hasard si, dès que le partenaire-mère tombe malade, le partenaire-bébé fait de même. Ces couples oraux sont prêts à tout lorsqu’il s’agit d’éviter d’échanger les rôles. 
 
Claude se saoulait parfois et frappait alors à la porte de ses voisins, pensant que c’était la sienne. Il est aussi arrivé qu’il urine sur leur paillasson, mais il a été vite pardonné. Ses voisins savent qu’il est veuf, que sa femme est morte d’un cancer de la vessie et qu’elle était à la fois pour lui une mère, une épouse et une infirmière. En tout état de cause, elle était plus qu’une simple partenaire. Claude le sait aussi. C’est ce qu’il exprime en tout cas quand il retrouve sa lucidité. Il redevient un homme d’âge mûr, aisé et sympathique, qui partage sa vie entre ses demeures entre Montréal et Québec. Il parvient même à raconter son histoire, celle d’un jeune homme de bonne famille qui ne s’est révolté contre la sévérité maternelle qu’après l’âge de vingt ans, en quittant le poste dans une compagnie d’assurance, pour se consacrer à sa vraie vocation, la musique. 
 
Il a rencontré sa femme, Huguette, au cours d’une fête à laquelle il participait avec son petit orchestre. Il était alors un playboy qui aimait s’étourdir dans la fête, elle était avocate et dotée d’une personnalité vive et de goûts marqués. Bref, ils formèrent un couple oral typique; pendant douze ans, il se réfugia dans ses bras maternels ou elle l’accueillait comme la plus aimante des mères. Ils n’ont jamais eu d’enfant, il travaillait trop, elle redoutait de perdre sa liberté et ils étaient si bien ensemble! Parfois la nuit, Claude se réveille encore brusquement pour parler à Huguette. Mais elle n’est plus là depuis des mois. Il s’est mis à boire, voulant oublier sa femme, mais il n’y arrive pas. Il vit seul, a abandonné la musique, et son unique plaisir réside dans des repas somptueux qu’il s’offre parfois au restaurant. Huguette avait façonné la personnalité de Claude. Mais celle-ci s’est évanouie avec sa mort. Avant tout, il a fallu mettre un frein à son alcoolisme, puis nous l’avons aidé à parler, à exprimer sa tristesse. Maintenant qu’il va mieux, il pense aller vivre aux U.S.A. ou la vie est plus facile pour les veufs, surtout quand ils sont aisés.  
 
L’AMOUR COMME POSSESSION RÉCIPROQUE : LA COLLUSION SADICO-ANALE 
Ce qualificatif peut sembler étrange; il se réfère en fait à l’art des stades de développement décrit par Freud. Celui pendant lequel l’enfant prend plaisir à contrôler ses sphincters. Parallèlement, il existe des couples qui prennent plaisir à satisfaire leur goût du pouvoir en multipliant les conflits dont le seul objectif est que l’autre n’ait pas gain de cause. Tous les prétextes à se quereller sont bons : l’activisme du partenaire ou sa passivité, son autonomie ou sa dépendance, son obstination ou sa souplesse, son amour de l’ordre ou son laisser-aller. Les deux composantes de ces pôles dialectiques sont comme souvent présentes en chacun de nous, mais le rapport pervers de domination pousse à plaquer l’un ou l’autre sur le partenaire dans le seul but de pouvoir le critiquer. 
 
Dans de tels couples, le partenaire dominant fait preuve d’attitudes véritablement despotiques. Non seulement il exige une fidélité absolue, mais il voudrait de plus qu’elle soit le fruit d’une décision spontanée de conjoint : en bref, il a l’ambition de contrôler autant l’esprit de l’autre que ses comportements. Le partenaire passif supporte tout, satisfait de pouvoir déléguer les prises de décision, et de vivre sous la protection de l’autre. 
 
Il s’agit pourtant, encore une fois, d’un mécanisme de pouvoir : la résistance passive n’est guère que le meilleur moyen de dominer son compagnon, tout en feignant d’être sous sa domination. Même violents, les conflits issus de ces collusions ne se placent pas dans une logique de séparation. Sans bouc émissaire il n’y aurait plus de conflit. 
 
L’émergence de tendances jusqu’alors refoulées et protégées sur l’autre déclenche en revanche la véritable crise. Imaginons que le sujet dominant veuille vérifier jusqu’où va son ascendant sur l’autre, alors que celui-ci a décidé d’exprimer sa propre autonomie, le premier affirmera qu’il se comporte de façon aussi tyrannique parce que l’autre fuit et ne se laisse plus contrôler, alors que l’autre prétend qu’il ne se laisse plus contrôler, parce que son partenaire ne lui veut plus que du mal. Il est évident que ces relations trouvent un débouché naturel dans le sado masochisme, ne serait-ce que psychologique. 
 
Dans la vie quotidienne, un rien suffit à exaspérer le litige. Lui serait prêt, par exemple, à préparer de temps en temps le petit déjeuner, mais il ne supporte pas que sa femme le lui demande. «Si pour une fois seulement il me montrait un peu d’attention! » soupire-t-elle. « Si je lui donne le petit doigt, elle me mangera la main. », se dit-il. 
 
L’idée fixe de ces couples est de dominer sans être dominé. Personne ne prend d’initiative, de peur que son geste ne soit interprété comme un signe de faiblesse et ne donne lieu à des revendications. Leur sexualité fonctionne selon le même mécanisme : il n’est pas rare que la femme masque son orgasme, tandis que l’homme tente de précipiter son éjaculation. Bref, personne ne désire montrer à son partenaire qu’il a gain de cause.  
 
C’est le plaisir que procure la peur de l’autre qui rend les conflits de pouvoir inépuisables, à la manière d’une grotesque guerre de tranchées. JURG WILLI cite le cas d’un couple dont les membres s’accusaient mutuellement d’égotisme : ils avaient construit chez eux une cloison mobile qui divisait le couloir de leur maison en deux parties égales, ce qui leur permettait d’entrer et de sortir sans être vu par l’autre. Ils ne communiquaient que par écrit et faisaient preuve d’un sens de la provocation toujours plus raffiné. Le mari en particulier était maître en la matière : avant que sa femme n’entre dans la salle de bain, il urinait dans le lavabo, ou bien il vomissait dans les casseroles à l’heure de la préparation des repas. Elle ne décida de s’en aller que le jour où il la menaça de mettre le feu à l’appartement. 
Quelle surprise. Ce départ le rendit apathique et il dut être hospitalisé, ne parvenant plus à se nourrir seul. Il ne se rétablit que le jour où elle devint son infirmière, à leur commune satisfaction. Ce fut la fin de cette lutte conjugale qui n’avait été pour lui qu’une dernière tentative pour exprimer son autonomie. L’échec de ce modèle avait ramené leurs rapports dans un cadre quasi normalisé. 
 
C’est peu dire que pour un thérapeute, ce genre de couple est exaspérant. Les exercices de communication, tellement utiles dans d’autres circonstances, se limitent pour eux à des tentatives de prise de contrôle de l’un par l’autre ou même du thérapeute, comme ce fut le cas avec Élisabeth. En entrant dans mon cabinet, elle tenait presque par les oreilles son mari Fernand. Elle voulait que je le réprimande parce qu’il refusait de subir une vasectomie et parlait le doigt pointé sur son ventre, rond d’une grossesse de cinq mois. Il m’a fallu un peu de temps pour réussir à éclairer la situation, par ailleurs très simple. Plus jeune qu’elle de cinq ans, il avait un an auparavant fait un enfant à l’une de ses maîtresses, qui avait décidé de le garder. À l’annonce de ces faits, la réaction d’Élisabeth avait été explosive : non seulement elle l’avait contraint à lui faire immédiatement un enfant, mais elle le sommait aussi de se faire stériliser. Une conclusion qui correspond bien à l’histoire de ce Canadien installé aux États-Unis depuis dix ans et qui s’est rapidement fait accaparer par l’énergique Élisabeth. Après s’en être emparé, elle voulait le castrer. Elle m’a même trouvé un rôle tout fait : celui du juge qui blâme le mari. Ma première tâche fut de lui démontrer que je ne pouvais être complice d’une telle manipulation. 
 
Dans ces couples, plus l’élément dominateur poursuit l’autre de sa jalousie, plus celui-ci le trompe pour affirmer son autonomie. Mais plus il cherche à fuir, plus son partenaire prétend faire de lui sa propriété privée. Le premier dit : « Je suis jaloux parce que tu es infidèle », ce à quoi l’autre réplique : « je suis infidèle parce que tu m’étouffes avec ta jalousie ».Et la seule envie que nous ayons, nous les thérapeutes, c’est d’abandonner ces couples à leurs inépuisables prises de bec.  
 
L’AMOUR COMME DEVOIR : LA COLLUSION HYSTÉRIQUE  
Ce type de rapport est aussi appelé la collusion oedipienne par les psychiatres. Ses origines symboliques se situent dans les manifestations affectueuses que le fils adresse à sa mère : il arrive qu’il se rende compte qu’elle les apprécie, surtout lorsqu’elle est sexuellement insatisfaite, et qu’elle bloque tout à coup le processus de séduction. L’incohérence de ce comportement empêche l’enfant de renoncer à sa mère en tant qu’objet sexuel et le blesse dans son identité masculine. Un phénomène analogue active et interrompt les mouvements oedipiens de la fillette avec son père. 
 
La collusion hystérique reproduit le même modèle comportemental. Superficielle, incohérente dans sa vie sentimentale, la femme hystérique a tendance à transformer les conflits à l’extérieur du couple ou à les transformer en des maladies impromptues. Pour séduire, elle se croit obligée de jouer à la femme désinhibée. 
 
Mais elle évite d’avoir des rapports personnels trop intimes et sexualise tous les autres rapports, au risque de se faire molester par ceux qui ne comprennent pas ses provocations. 
En général, l’homme hystérophile a vécu longtemps avec sa mère et son émancipation sexuelle a été tardive. Passif par nature, il évite de le montrer. Il rompt le lien qu’il entretient avec la terre ( à ses yeux la plus importante de toutes les mères ) en choisissant des sports virils et ascensionnels comme l’alpinisme, le parachutisme ou le deltaplane. Il s’occupe des autres pour dissimuler son besoin d’attention. Mais sa vraie nature se révèle dans une sexualité pauvre, qu’il néglige pour mieux cultiver des liens affectifs qui lui permettent de jouer les sauveteurs. 
 
Leur mal de vivre les rapproche. C’est toujours le même schéma qui se répète : une femme qui cherche de l’aide et un homme que sa famille a convaincu de rentrer dans le rang. Elle se marie sans être amoureuse mais pense qu’un jour ou l’autre l’amour viendra. Lui n’aspire qu’à la consoler, mais il est constamment frustré puisque, malgré toutes ses tentatives, sa compagne ne peut sortir de son état d’insatisfaction chronique. Si par hasard il se permet de lui demander de l’aide en cas de maladie ou de difficulté professionnelle, elle le repousse avec dédain. Comment pourrait-elle porter à son mari la moindre attention maternelle?... Yolaine est une femme de la haute bourgeoisie, formaliste et égocentrique. Elle a toujours souffert de maux imaginaires qui n’ont fait qu’augmenter avec l’âge. Lorsque son mari a commencé à souffrir de dysfonctionnements de la prostate, une migraine soudaine l’a mise dans l’impossibilité de s’en occuper . Elle raconte à ses amies à quel point il est difficile de vivre avec un homme atteint de tels maux. Ce qui est loin de déplaire à son mari qui préfère être plaint plutôt que de devoir prendre l’initiative, notamment en matière sexuelle. 
Rapidement, ils se comportent comme frère et sœur et elle commence à collectionner les amants en prenant comme prétexte l’indifférence de son mari. Situation qu’il accepte, puisqu’il considère que la virilité des autres est une forme d’agression très éloignée de la noblesse et de la tolérance qu’il manifeste. 
 
Ce type de femme a beaucoup de succès, car les hommes aiment les femmes imprévisibles : elle veut systématiquement le contraire de ce qu’on lui offre, un vieux subterfuge qui lui permet d’avoir toujours raison. Ses amants sont des hommes forts, l’hystérique désirant toujours que soient bien séparés la douce routine du lit conjugal et la passion de l’alcôve. Même lorsqu’elle n’a pas d’amant, elle opère cette scission en faisant de ses enfants les témoins de la faiblesse de leur père, ce qui perpétue chez eux un complexe oedipien non résolu. 
 
Les rôles peuvent évidemment être inversés : il arrive que l’homme soit autoritaire, et la femme, soumise . Il fait l’éloge de sa virilité, en tant que démenti à ses angoisses de castration et à ses tendances homosexuelles latentes, mais lorsque l’admiration féminine se ternit, son orgueil phallique s’en trouve blessé. Sa femme, qui le sait fragile, veut le rassurer pour une bonne raison : elle sait qu’il n’existe que dans la mesure où il peut se prouver à lui-même sa virilité au point que s’il en était autrement, il irait voir ailleurs. Si, dans cette situation, s’ajoute le facteur d’une grande différence d’âge, les compromis sont inévitables. Un homme plus âgé est attiré par l’idée d’initier une femme plus jeune à la vie conjugale, tandis qu’elle lui remet entre les mains son insécurité. Une femme plus âgée assume auprès d’un homme plus jeune et privé d’autonomie, un rôle essentiellement maternel. Elle devient à ses yeux une reine et une madone; une femme plus jeune lui semblerait trop immature. Il arrive qu’il accompagne sa dépendance d’un net penchant pour la boisson et les jeux de hasard. 
 
L’alccol n’est qu’un moyen de se soustraire à la tutelle de son épouse, mais il finit en définitive par légitimer l’autorité de celle qui va le récupérer dans les bars ou paie la caution pour le sortir de prison.  
 
En conclusion, ce type de collusion remet en cause la relation horizontale et tente de maintenir la dichotomie entre conjoint fort et conjoint faible. Il faut pourtant garder à l’esprit le fait que le partenaire dominant n’est pas toujours le plus fort. Combien de fois, lors des séances de psychothérapie, découvre-t-on la force cachée des faibles ? 
 
LUNDI 7 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 73e partie 
LE MENTEUR 
 
L’importance de la tromperie dans les affaires humaines est depuis longtemps reconnue par les philosophes politiques, les analystes militaires, les dramaturges, les romanciers et autres observateurs du comportement humain. La tromperie a été perçue comme centrale dans les conflits inter-groupes, depuis les récits bibliques du siège de Ai et la légende grecque du cheval de Troie jusqu’aux exemples modernes de Pearl Harbour en 1941, de la Normandie en 1944 et de la Tchécoslovaquie en 1968 (Handel 1982, Whaley 1969). Ce fait est d’une telle évidence que l’on est tenté d’abonder dans le sens de Sun Tzu, selon qui « toute guerre est fondée sur la tromperie » ou de Churchill qui aurait dit qu’ « en temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle doit être protégée par un rempart de mensonges ». La guerre est, sans contredit, l’une des manifestations les plus dramatiques de la tromperie humaine, mais les dédales de l’intrigue politique, depuis les écrits classiques de Machiavel pendant la Renaissance jusqu’à l’affaire du Watergate ou l’Irak avec son nucléaire juré par Bush et les campagnes de « désinformation » contemporaines, sont autant d’exemples de l’importance de la duplicité dans la vie publique.  
 
Selon les psychologues sociaux comme Mead (1934) et Goffman (1959), les interactions sociales de la vie quotidienne comportent un élément de tromperie, dans le sens où chaque acteur participe à une mise en scène par laquelle il vise à contrôler les impressions qu’il crée sur autrui. La vision la plus extrême de la tromperie dans la vie de tous les jours est sans doute celle d’un sociobiologiste contemporain pour qui la société humaine est « un réseau de mensonges et de tromperie qui ne persiste que dans la mesure où il existe des systèmes de conventions définissant les types de mensonges acceptables » (Alexander 1977). Poussée à l’extrême, cette vision de la vie sociale humaine ne tient pas compte de la fonction vitale de la communication fiable dans les rapports humains. Il est néanmoins concevable que l’existence de la tromperie préméditée et la nécessité de détecter ce type de machination et de manipulation aient pu constituer une impulsion majeure pour l’évolution de l’intelligence chez les primates et l’espèce humaine (Byrne et Whiten 1988, Humphrey 1976). 
 
Vision Psychanalytique du Mensonge 
 
PUIS FREUD VINT…  
 
En 1909, Freud, dans un excellent article, assigne à la « fabulation » un déterminisme précis : la mise en doute de l’image parentale accompagnée d’une surestimation de cette image. Dans la théorie freudienne, les fantasmes prépubertaires servent à accomplir les désirs dans un double dessein : érotique et ambitieux. À cette époque, l’activité fantasmatique a tendance à se débarrasser de parents désormais dédaignés et de leur en substituer d’autres, en général d’un rang social plus élevé. Puis, avec la connaissance des processus sexuels, apparaît la tendance à se figurer des situations et des relations érotiques. L’enfant bâtit alors un roman familial dans lequel il ne craint pas d’inventer à la mère, objet de la curiosité sexuelle suprême, autant de liaisons amoureuses qu’il y a de concurrents en présence. Cette hypothèse vaut tant pour le mensonge chez l’enfant que pour les thèmes de filiation fréquents dans les délires d’imagination – qui, pour Dupré, sont le degré maximal de la mythomanie. 
 
« Il est naturel que les enfants mentent lorsque, ce faisant, ils imitent les mensonges des adultes », dit Freud. Le mensonge est inhérent à l’évolution psychologique de l’enfant. Pour celui-ci, comme dans la mentalité primitive, le langage a une valeur magique, incantatoire. Freud a montré la portée de l’investissement du langage : le tabou de certains mots, les lapsus, les oublis, mais aussi l’importance de la construction même de ce langage. À mesure que son discours se déroule, le sujet se découvre face à autrui ou prend conscience, dans le dialogue, de ses problèmes personnels. Le langage s’enrichit par la relation et s’affermit par la réalisation. C’est au-delà de trois ans que se fait l’apprentissage du mensonge. Cette expérience est d’une importance déterminante dans l’évolution psychologique. Utilisé d’abord de façon ludique, le mensonge n’a d’autre valeur que celle d’une opposition à l’adulte, sans que l’enfant ne lui prête aucunement le pouvoir de convaincre. Mais, un jour, l’enfant s’aperçoit que son mensonge « prend »; il découvre que l’adulte, puisqu’il croit à son mensonge, ne connaît pas sa pensée. Dès ce moment, les relations de l’enfant avec son entourage sont transformées. Le mensonge est vérité. L’imaginaire peut être aussi vrai que la réalité. Cette indépendance verbale est l’expression d’une tentative d’indépendance beaucoup plus profonde. À noter que l’acte de mensonge est aussi mécanisme de réassurance, de puissance ou de culpabilisation.  
 
LE MENSONGE PATHOLOGIQUE  
 
Le menteur pathologique est impuissant à saisir sa propre image et à pouvoir s’y maintenir. Le menteur normal, lui, a souvent des motivations assez évidentes (peur de la punition, par exemple). Dupré décrit un cas de mensonge qui, par sa richesse imaginative, nous fait pénétrer dans le monde de la mythomanie infantile. 
 
L’activité mensongère chez l’enfant tend à diminuer progressivement et à se discipliner à des fins créatrices et utiles, parallèlement au développement des facultés de jugement et de critique. 
 
Une phrase d’André Malraux résume tout le tragique du monde mythomaniaque : « La mythomanie est un moyen de nier, de nier et non pas d’oublier ». La vie doit devenir un roman; la fiction et la réalité ne font qu’un. L’espace qui le sépare d’autrui, le mythomane le comble par une histoire, histoire obligeant l’auditeur à s’attacher à lui tant il est glorieux ou tant il a souffert. Autrui est présent, spectateur de cette mise en scène. Pour le mythomane, la réalité est alors la matrice du possible. 
 
Produire, créer sont les conséquences de son sentiment d’insécurité et de son manque d’estime en soi. Il a un besoin vital de mythe pour assurer son identité. Bien que n’existant que durant le discours, le mythe va continuer sa course auprès d’autrui; cette existence indépendante et non maîtrisée de la fable va alimenter l’angoisse du mythomane d’être débusqué. Du possible peut advenir la chute, chute inassumable et inacceptable. La mort est alors, souvent, le seul échappatoire à cet effondrement narcissique. Cette recherche constante d’identité ne pourra pas résister à la levée de l’imposture.  
 
UN STYLE DE VIE  
 
On le voit, la mythomanie est beaucoup plus qu’une série d’actes mensongers. C’est un style de vie, avec ses éléments caractéristiques. Le discours de l’homme sincère laisse à l’interlocuteur la possibilité de s’interroger. Tout n’est pas évident, tout n’est pas expliqué. Dans le discours mensonger, au contraire, la sursignification est constante; rien n’est laissé dans l’ombre, tous les détails nécessaires sont fournis. Les faits réels sont transformés, agrandis, embellis pour être plus significatifs. La fable « doit » être réalité. Ainsi, elle pourra d’autant mieux amener la participation active de l’auditeur.  
 
Ce mode de vie est un roman qui peut aller de la fabulation jusqu’au pseudo-délire sur des thèmes de persécution ou de jalousie reflétant des troubles graves de l’identité. Mais leur organisation romanesque, la survalorisation permanente du sujet, l’absence complète d’éléments hallucinatoires permettent de les distinguer du délire psychotique. 
 
Cette falsification de soi-même, caractéristique du mythomane, est en réalité falsification à soi-même, recherche d’une réassurance, expression d’un défaut d’identification narcissique. Cette figure idéale qu’il veut incarner aux yeux de l’interlocuteur comme à ses propres yeux fournit au mythomane un alibi existentiel. Ce besoin d’intéresser et de prendre un masque est une manière de fuir la relation avec l’autre. Cette fuite n’est pas seulement imaginaire; la réalité existe et, par ce qu’il raconte, il cherche à persuader l’autre de son malaise existentiel. Car cette conquête de l’autre est une quête de soi-même. Être le metteur en scène d’une fable dont l’autre est spectateur, monter puis démonter cette fable à loisir, c’est essayer d’assurer et de s’assurer que son identité propre, sexuelle et narcissique, ne se trouve pas compromise ni menacée.  
 
L’HYSTÉRIQUE  
 
Le comportement mythomaniaque ne joue pas le même rôle dans les différentes structures mentales. En effet, la structure mentale est l’organisation sous-jacente à la personnalité, c’est-à-dire à la manière dont l’individualité veut être reconnue comme humaine. Par opposition à la personnalité, toute descriptive, la structure mentale est « déductive » des traits de personnalité, du sens des symptômes. En effet, le comportement mythomaniaque n’a pas la même vocation dans la structure hystérique, la structure psychopathique ou la structure de la débilité mentale. 
 
Classiquement, la personnalité hystérique est abordée d’une manière descriptive : suggestibilité, théâtralité, érotisation des relations, immaturité affective en relation avec une insécurité perpétuelle. Or il nous paraît pourtant plus intéressant de parler non de l’hystérie en tant qu’entité clinique, mais de l’hystérique et de son discours inconscient porteur d’une interrogation : comment être un homme? Comment être une femme? Cette interruption est ici l’expression d’une faille narcissique. L’hystérique a le fantasme de n’avoir pas assez été aimé; il demeure marqué de l’incomplétude (voire du rejet) du désir de sa mère. Son identité sera donc précaire et d’ailleurs redoutée. La mythomanie aura là son rôle thérapeutique. La confrontation au miroir est confrontation à son insignifiance. Pour l’hystérique, son image est impropre à retenir le regard de l’autre. Il se cherche dans ce regard, essayant d’être cet objet idéal conforme à celui qu’il pressent au lieu du désir de l’autre. Ce trouble de l’identification, tant narcissique que sexuel, va amener l’hystérique à afficher un personnage, à jouer un rôle, répondant ainsi à la nécessité d’éviter toute rencontre authentique avec autrui. N’ayant pas d’identité vraiment bien établie, il se sent obligé de vivre par substitution : d’où la théâtralité et une dramatisation permanente de l’existence. Être remarqué est nécessaire : excès de langage, goût vestimentaire extravagant, vie qui apparaît à l’autre comme un véritable roman. Cet histrionnisme, où tout est mis en œuvre pour attirer et pour plaire, implique une certaine plasticité du personnage, qui change de rôle en fonction des auditeurs, sans s’en rendre d’ailleurs véritablement compte. 
 
Chez l’hystérique se retrouve l’agencement romanesque des projections inconscientes, spécifiques à la mythomanie. La mythomanie hystérique est plutôt une tendance qu’un style complet d’existence. Il s’agit avant tout d’accrocher l’autre plutôt que de construire un roman et de s’en servir. L’autre est indispensable à l’établissement d’une identité vacillante; la solitude renvoie l’hystérique à ce qu’il croit être son insignifiance, d’où le risque suicidaire quand l’hystérique se retrouve seul. Pris dans son imaginaire, il éprouve parfois des difficultés réelles à faire la part du vrai et du faux, des fantasmes et de la réalité. La faille narcissique est colmatée par le mensonge; la satisfaction imaginaire permettant un semblant de satisfaction réelle, elle le met en quelque sorte à l’abri du délire. L’hystérique se sert avant tout de sa tendance mythomaniaque pour retenir l’autre, non pour l’abuser véritablement.  
 
LE PSYCHOPATHE  
 
Tout autre est la place de la mythomanie dans le monde psychopathique. Pour le psychopathe, ou déséquilibré mental, le comportement mythomaniaque est un moyen et non une fin en soit comme chez l’hystérique. Pour lui, tout échange – et l’échange langagier n’échappe pas à la règle – est régi par une loi qui n’est que violence, qui n’est que représentante de la mort. Le psychopathe est né et vit dans le monde dur du « chacun pour soi », où chaque individu est trop occupé à démêler ses propres difficultés pour s’intéresser à celles des autres. Monde de l’insécurité où la loi est celle du plus fort. Malgré son désir de rencontrer l’amour et l’amitié, chaque relation dégénère vite en affrontement; fort de sa soif d’authenticité, de vivre une relation d’ « homme à homme », il se sent forcé par l’autre à être vicieux. Les troubles du comportement sont le résultat de ce sens vicié de l’existence, troubles où l’impulsivité est rarement absente et qui amènent fréquemment le psychopathe à avoir des démêlés avec la justice (bagarres, menaces, escroqueries, vols, réactions homicides ou alcoolisme pathologique). 
 
Le psychopathe est constamment mythomaniaque; l’enjolivement de son vécu, sa modification fallacieuse n’a pour objet unique que l’obtention de bénéfices pratiques, le plus souvent de façon efficace, tant son charme est opérant. Ici, l’acte mensonger n’engage que très peu celui qui l’exécute, mais vise surtout à détruire le protagoniste. Ainsi, alors que le mythomane hystérique signera une lettre d’une pseudonyme afin d’avoir une réponse, le psychopathe, lui, n’attend pas de réponse, il attend un résultat. L’acte mensonger, s’il obéit à des motivations inconscientes, est un acte conscient, délibéré, que certains auteurs ont qualifié de perversité pathologique. 
 
Citons l’escroc qui invente des histoires, se fait passer pour un personnage important. Son objectif est de duper, mais aussi d’abuser les autres. Il exploite sa victime et en est le bénéficiaire dans la réalité; alors que le mythomane hystérique est le bénéficiaire de l’imaginaire et, en dernier lieu, la victime, car il doit ou fuir ou se faire démasquer. 
 
Enfin, le mensonge du Débile.Le débile mental, quant à lui, ne tire avantage de ses fables ni au regard de la réalité ni au regard de l’imaginaire. Il apparaît perdant sur toute la ligne. Son discours est pauvre en quantité comme dans son contenu : la métaphore est ici inintelligible : elle est confrontée aux relations existant entre organisation libidinale (ou affective) et fonctions cognitives (ou intellectuelles). La déficience mentale c’est d’abord une situation forgée et vécue par le sujet, mais c’est aussi un trouble de la connaissance et un monde original de communication. C’est une psychopathologie du manque, notamment au niveau de l’intellect, de la connaissance, du savoir et du jugement… et qui dit mieux à propos du mensonge? 
 
VENDREDI 4 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 72e partie 
ON DEVIENT CE QU'ON EST 
 
 
Quelqu’un a dit : l’homme n’est que ce qu’il devient ou l’homme ne devient ce qu’il est? 
 
Il est classique de distinguer dans le caractère des éléments naturels ou innés et des éléments acquis. On naît sanguin ou lymphatique, vif ou mou; mais les traits essentiels du tempérament peuvent être modifiés par des influences diverses; le climat, le métier, l’éducation et le milieu social, enfin l’effort volontaire. 
 
La réflexion nous montrerait, que tout ce que nous observons en l’homme est acquis : l’homme n’est que ce qu’il devient : Mais une réflexion plus profonde nous ferait constater que ces acquisitions ne sont qu’apparentes : l’homme ne devient que ce qu’il est. 
 
Tâchons de pénétrer le sens de ces deux réflexions antithétiques de ce penseur et de voir si l’observation les confirme ou les infirme. 
 
L’homme n’est que ce qu’il devient. Que faut-il entendre par là? Si nous ne connaissons pas Amiel, nous pourrions proposer cette explication de simple bon sens; à sa naissance, nous n’observons dans l’enfant rien de ce qui fera de lui l’homme qu’il sera plus tard; tout ce qu’il sera, il doit le devenir, de sorte qu’on peut dire que l’homme n’est que ce qu’il devient. 
 
Et en effet l’enfant qui vient de naître ne présente aucun caractère physique et surtout mental qui le distingue des autres. Henri Poincaré au berceau n’avait encore rien d’un mathématicien génial et il se comportait comme les autres enfants de son âge. C’est peu à peu que l’homme devient ce qu’il sera. Son développement physique donne à son corps une stature et une tournure caractéristique – les multiples expériences qu’il fait dans ses rapports avec les choses et avec les hommes ébauchent les linéaments de ses premières idées. Surtout il se laisse former par ceux qui l’entourent, héritant de la sagesse accumulée de nombreuses expériences et aussi de préjugés qu’impose le milieu. Plus tard, devenu adulte, de tout cet amas de connaissances et d’habitudes, il tâchera, s’il est réfléchi, de faire une synthèse logique : ce sera lui, le terme d’une longue évolution partie de quelque chose qui, en somme, n’était pas lui. 
 
Ainsi comprise, la pensée de Amiel est évidente : c’est une vérité de bon sens. Mais précisément; il n’est pas vraisemblable qu’un esprit de la finesse de ce contemplatif se soit arrêté à une pensée si banale et surtout l’ait trouvée profonde. Sous les mots, il doit donc y avoir autre chose. 
 
L’homme n’est que ce qu’il devient, ne signifierait-il pas que l’homme n’est que ce qu’il se fait, ce qu’il devient par lui-même; en définitive, l’homme serait quelqu’un dans la mesure où il est en enlevant à ce mot tout ce qu’il a de péjoratif – un parvenu; il n’y aurait en nous de vraiment à nous que ce qui est notre œuvre. 
 
« Ne t’énorgueillis d’aucun avantage étranger, dit Epictète. Si le cheval s’énorgueillissant disait : ‘j’ai un beau cheval’, sache que c’est des qualités du cheval que t’énorgueillis. Qu’y a-t-il donc là de tien? » Il faut aller plus loin. Il n’y a pas lieu d’être fier de sa beauté, de sa naissance, de son intelligence : ces dons, ainsi que le mot l’indique, nous les avons reçus; ils ne sont point notre œuvre. Il en est de même de ce que nous sommes par suite de tout le système d’éducation et d’instruction dont nous avons bénéficié; nos idées religieuses, morales, sociales ne sont pas nôtres; ce sont celles de nos éducateurs. Pour devenir quelqu’un, nous devons faire d’une certaine manière la conquête personnelle de ce que nous avons reçu sans effort, et, mieux , encore, nous approprier de nouveaux royaumes à la pointe de l’épée; nous sommes ce que nous devenons, ce que nous faisons. Cette ambition de devenir quelque chose par soi-même, Cyranno l’exprimait bien par le vers connu : « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul. » 
 
Voilà enfin un troisième sens qui nous paraît conforme, lui aussi, à la pensée de l’auteur : l’homme n’est que ce qu’il devient, c'est-à-dire ce qu’il réalise au cours de sa vie. L’être vivant et surtout l’homme, n’est pas une réalité statique et inerte – il est essentiellement dynamisme, et sa valeur dépend de ce dynamisme même. 
 
Celui qui ne produit rien n’avait rien en lui, n’était rien : on n’est ce qu’on devient. « le génie latent, dit l’autre, n’est qu’une présomption. Tout ce qui peut être doit devenir, et ce qui ne devient pas n’étant rien. » 
 
En portant ce jugement sévère sur ces hommes qui se sont arrêtés aux espoirs et aux ambitions et n’ont jamais rien réalisé, Amiel songeait douloureusement à lui-même : « la virtualité pure, écrivait-il, est mon refuge de prédilection, dès le commencement : j’ai été un rêveur, craignant d’agir, amoureux du parfait, et aussi incapable de renoncer à ses expériences que de les satisfaire, bref, un esprit étendu et un caractère faible; curieux de tout ressentir et impropre à rien exécuter. » 
 
Quelques jours avant sa mort, il notait dans son journal intime : « Tant de promesses pour aboutir à un résultat aussi maigre! Ce que c’est que de nous!...comme les désirs trompent!... ». Amiel juge qu’il n’est rien, puisque de tout ce qu’il rêvait d’être il n’est rien devenu : l’homme n’est que ce qu’il devient. Mais cette réflexion douloureuse peut en amener une autre qui console, ou du moins invite à la résignation : celui qui n’est rien devenu n’était rien. 
 
L’homme ne devient que ce qu’il est; pensée plus profonde encore, d’après Amiel. 
On pourrait d’abord comprendre que l’homme ne devient que ce qu’il est par naissance, ou par cette naissance spirituelle qu’est la première éducation. Il est certains traits de caractère que le milieu physique ou le milieu social peuvent bien atténuer, mais qu’ils n’effaceront jamais. Ces tendances fondamentales détermineront toujours les réactions particulières de chacun : un sanguin entré dans la diplomatie parviendra à se maîtriser lui-même, mais il se maîtrisera en sanguin, qui toujours bouillonne. Le fonctionnaire, sans doute, s’adoptera à sa fonction; mais, plus encore, il adopte la fonction à ce qu’il est par nature, et sa nouvelle fonction devient en lui ce qu’il est. 
 
De même un enfant élevé dans un milieu vulgaire et dont le tempérament n’implique rien de particulièrement délicat restera toujours vulgaire. Sans doute, si les circonstances ou sa valeur personnelle le font parvenir à une situation élevée qui le fera vivre dans un milieu choisi, il s’adaptera, il changera ses manières et son langage, prendra un air nouveau, deviendra distingué. Mais jusque dans sa distinction il restera quelque chose de rude et de grossier; son effort même pour être ce qu’il est devenu montre qu’il ne l’est pas encore et il ne le sera jamais qu’à la façon d’un parvenu, et, en prenant des manières distinguées, il les vulgarisera en quelque sorte, les amenant à son niveau; il devient ce qu’il est. 
 
Cette interprétation est bien pessimiste et semble couper les ailes à tout espoir de progrès. Est-elle confirmée par les faits? Il semble bien que non. Si souvent l’homme nous donne des déceptions et des surprises? Tel, médiocre dans les études, révèle, au cours de sa vie, ouvert et réfléchi; tel autre, apathique et terne, se montre, au cours d’une guerre, entreprenant et finit en héros. L’homme ne devient pas ce qu’il est par une sorte d’évolution mécanique sur laquelle il ne peut rien. Il est capable, dans une certaine mesure, de diriger cette évolution. 
 
Mais - et c’est là un second sens de la pensée d’Amiel – pour diriger cette évolution, il faut déjà être orienté, il faut être en partie ce qu’on rêve de devenir. Les psychologues modernes, en particulier M. Maurice Blondel, l’ont bien montré; rien n’entre dans l’homme, n’est assimilé par lui, c'est-à-dire ne devient lui-même, qui ne soit appelé par quelque aspiration profonde de son âme, qui ne soit déjà lui. De cette idée, nous trouvons déjà une amorce chez Amiel : « On ne peut apprendre avec fruit que ce qu’ils savent virtuellement. On ne leur donne que ce qu’ils avaient déjà ». 
 
Devenir n’est donc qu’expliciter ce qu’on est déjà implicitement. De fait, on ne devient pas énergique ou affectueux; l’énergie ou l’affection qui apparaissent ne sont que le développement d’un germe naturel ou de cette seconde nature constituée par les toutes premières habitudes de l’enfance : devenir se ramène à réaliser les virtualités accumulées en soi. Mais il reste une importante marge à notre effort personnel : si ces virtualités sont en nous sans nous, de même que le germe est dans la graine. Indépendamment du fleuriste, leur développement dépend de nous. L’énergie du tempérament qui nous est échoué peut-être tournée à la domination de nous-mêmes afin de ne pas sacrifier les autres à nous. Il y a mille façons de s’attacher et d’aimer : il en est qui ennoblissent et d’autres qui avilissent. Peut-être ne deviendrons-nous jamais que ce nous sommes, mais nous pouvons être ce que nous sommes de bien des façons différentes, et la façon d’utiliser ce qu’on est importe plus que cela même qu’on est. Mais peut-être pourrait-on trouver à la pensée de ce subtil penseur, une signification plus subtile encore. L’homme ne devient à chaque instant de sa vie, que ce qu’il est à cet instant même. Dans la plupart de nos actions, nous sommes comédiens avec nous-mêmes. Nous nous faisons désintéressés, sensibles au beau et même angoissés de graves questions. Il n’y a là que pure façade, et un esprit pénétrant ne s’y trompe pas; on ne devient pas artiste, ou charitable, ou philosophe, parce qu’il est avantageux de l’être et comme une commande; on ne devient jamais que ce qu’on est. 
 
Pour devenir ce qu’on désire être, il ne suffit pas de faire comme si on l’était déjà. L’orgueilleux qui fait comme s’il était humble use en quelque sorte les résistances qui, en lui, s’opposent à l’humilité : il n’est pas encore humble, et il peut rester orgueilleux dans son attitude humiliée. Les transformations qui nous modifient doivent être plus profondes, atteindre l’intime du cœur. Mais lorsque les résistances sont usées, lorsqu’une purification prolongée a établi dans l’âme comme un nouveau climat, un autre homme apparaît. La pratique des vertus, artificielle jadis, est devenue naturelle : les gestes et les paroles humbles sont l’expression spontanée d’une conviction intime. Alors on ne devient, dans ses actes, que ce qu’on est réellement à l’intime de l’âme. 
 
Nous devons le reconnaître, c’est ce qu’on est qui attache et captive les hommes et non pas ce qu’on fait. Goethe l’avait déjà noté : « les natures communes payent avec ce qu’elles font; les natures riches avec ce qu’elles sont ». Amiel le répète en des termes analogues : « Ce n’est pas ce qu’il a, ni même ce qu’il fait, qui exprime directement la valeur d’un homme, c’est ce qu’il est ». 
 
Cette pensée coupe les ailes aux rêves d’une ascension morale trop facile et trop rapide : elle n’a pas de quoi décourager. Ce que nous faisons, en effet, est comme le témoin de ce que nous sommes. De plus, une action persévérante informée par le même idéal parvient peu à peu à se confondre avec ce que nous sommes, de même que le métier, parfois, s’inscrit en quelque sorte dans l’allure de celui qui l’a pratiqué durant toute une vie et lui sculpte lentement un nouveau visage. Ne nous laissons pas hypnotiser par ce que nous sommes ou croyons être. Travaillons à devenir ce que nous voudrions être : il n’y a pas d’autre moyen de grandir. 
 
MARDI 1 MAI 2012 
LA DÉTRESSE DES HOMMES - 71e partie 
 
BLESSURE VS DÉFI DE L'INTIMITÉ  
Nous créons un couple pour vivre l’intimité : du moins nous l’espérons. Mais l’intimité ne relève pas seulement de la bonne volonté. L’intimité suppose le dépassement d’innombrables peurs enfouies dans notre mémoire corporelle. L’intimité, la proximité, la complicité représentent les besoins de base importants. Mais lorsque ce besoin de contact affectif a été associé à des blessures émotionnelles, le corps garde toujours en mémoire le danger associé à la satisfaction de ce besoin d’intimité. 
Examinons les possibilités de satisfaction ou de frustration des besoins :  
le cycle de la satisfaction 
Besoin  
 
Détente Comportement 
De recherche 
Repos  
Reconnaissance 
Par l’autre 
Plaisir 
Satisfaction 
Observons un bébé qui a faim, le comportement de recherche pour satisfaire son besoin sera de pleurer et de s’agiter. La mère reconnaît son besoin en lui présentant son sein. Il satisfait son besoin, puis entre dans une phase de détente et de repos, en attendant que ce besoin émerge à nouveau quelques heures plus tard. 
Évidemment, le besoin de l’enfant ne trouvera pas toujours satisfaction au moment où il le veut. C’est d’ailleurs le défi entre le besoin ressenti et sa satisfaction qui lui permet de se différencier de tout ce qui l’entoure, de devenir un être distinct de son environnement. 
L’enfant fait l’expérience de la réalité par la frustration. Il connaît ainsi non seulement le plaisir, mais la douleur liée au manque. 
Le cycle de la douleur 
 
 
Besoin  
Comportement de recherche 
 
Tension/ crainte blessure Non reconnaissance par l’autre 
Douleur 
L’on voit bien, dans le cycle de la douleur, la mère ne répond pas au besoin de l’enfant. La douleur a remplacé la satisfaction. Le corps est contraint pour faire face à cette réalité. L’univers n’est pas toujours là, au bon moment, pour combler le moindre de nos principe de plaisir instantané doit faire place au principe de réalité plaisir/déplaisir. Mais, parfois, la douleur devient tellement forte que des mécanismes de défense entrent en jeu pour diminuer la souffrance. 
Le cycle de la souffrance 
Besoin Recherche/évitement 
Haine 
Rage 
Désespoir Souffrance crispation/douleur anticipée 
 
Accroissement Douleur/plaisir/douleur 
Considérons toujours que le bébé a faim, mais que maman répond mal au besoin de l’enfant en lui présentant un biberon trop chaud. Un besoin de faim intense, normalement satisfait dans le plaisir est associé à la douleur. Le bébé veut boire parce qu’il a faim mais, en même temps, il évite de boire parce que cela fait mal. Il y a donc une blessure. L’ambivalence s’installe. Il y a à la fois une recherche de satisfaction et un comportement d’évitement de la douleur. La crainte s’installe chaque fois que la faim émerge à la conscience. 
 
L’expérience se grave dans sa mémoire corporelle. D’autres expériences positives finiront par effacer cette mauvaise expérience. Mais si la même situation douloureuse se répète trop fréquemment, l’enfant ressent son besoin de se nourrir avec la peur. Chaque fois que la faim se fait sentir, la peur de la douleur monte en même temps, faisant de l’allaitement un véritable champ de bataille. 
 
Illustrons cette ambivalence en étudiant ce cas pris dans la littérature d’une jeune mère qui vient d’accoucher. Le bébé manifeste un comportement de recherche de satisfaction en pleurant pour exprimer sa faim. Toutefois, l’enfant refuse le sein de sa mère, de même que le biberon qu’elle lui donne. Le médecin, ne voyant aucune anomalie physique, demande à une autre patiente qui vient d’accoucher, d’allaiter l’enfant. Ce dernier accepte volontiers le sein de cett4e mère adoptive. Le médecin est donc certain qu’aucune raison physiologique n’explique le refus de l’enfant. Nouvelle tentative d’allaitement par sa vraie mère. Nouvel échec. Que s’est-il passé? En questionnant la mère, le médecin découvre qu’elle a eu cet enfant pour faire plaisir à son mari, qui refusait l’avortement. Quant à elle, l’avortement aurait été son choix. Dès la naissance, le bébé est prisonnier du cycle de la souffrance. « j’ai besoin d’amour (recherche de satisfaction), mais je ressens le rejet(évitement), »Le bébé qui a senti le rejet maternel, rejette à son tour la mère, même au détriment de sa vie. 
Les blessures d’amour, tout au long de notre enfance, sont très nombreuses, et ce, malgré les meilleures intentions des parents. Prenons une scène apparemment banale. Une enfant de deux ans demande à sa mère de la prendre dans ses bras : « tu es trop grande » est la seule réponse à sa demande. Après quelques refus, la fillette comprend qu’elle n’est pas aimée quand elle ressent et exprime ce besoin d’affection. Elle apprend à ne plus ressentir ce besoin de contact (évitement). Puisque maman n’aime quand je suis grande, je vais éviter de ressentir ce besoin de petite fille. » 
Pour être aimée, la fille refoule son besoin de contact. Une fois adulte, elle est susceptible de se sentir mal dans les situations d’intimité physique, ne sachant pas trop comment réagir devant des manifestations de chaleur et de tendresse. Comme elle a pu se passer de la tendresse de sa mère à deux ans, elle peut bien décider de se passer de cette tendresse toute sa vie. Sa mémoire corporelle, qui échappe totalement à sa mémoire conscience, contient l’information que le besoin de contact physique est mauvais et souffrant parce qu’il ne peut être satisfait. La solution consiste à enfouir ce besoin dans l’inconscient : « Je me débrouille seule dans la vie, je n’ai besoin de personne. » 
Observons maintenant Louise en thérapie, lorsqu’elle parle de son père. Je remarque alors une tension dans sa voix. Je lui propose de s’adresser directement à son père, assis symboliquement sur une chaise. Son visage rougit, la peine monte, elle éclate en sanglots, « Pourquoi tu ne m’aimes pas? Qu’est-ce que je t’ai fait? Une scène lui revient, lorsqu’elle avait cinq ans. Son père arriva du travail. Toute contente, Louise accourt vers lui pour lui donner un gros bec sur la bouche. Elle voit alors son père s’essuyer. À l’époque, elle n’a eu aucune réaction émotionnelle, si ce n’est que de rester estomaquée. Trente ans plus tard, la peine toujours imprimée dans l’inconscient corporel, s’exprime enfin. 
Bien sûr, le geste de son père n’a rien de traumatisant en lui-même. Bien des adultes font la même chose en recevant un gros bec mouillé de leurs enfants. Il faut replacer le geste dans le contexte familial pour comprendre l’interprétation de Louise. Son père ne se cache pas pour avoir des maîtresses et Louise le sait. À cinq ans, il est tout naturel qu’elle se sente proche de son père et son geste est évidemment perçu comme un rejet »Tu n’aimes pas maman et, en plus, tu aimes les autres femmes plus que moi. » 
Vous ne serez sans doute pas surpris si je vous dis que Louise se montre très ambivalente dans ses rapports avec les hommes. Elle craint de souffrir et redoute surtout l’infidélité de son partenaire. Elle est prise au piège de la recherche d’intimité et de l’évitement de la souffrance qui y est associée. Plus une relation amoureuse est riche d’intimité, plus la peur augmente et réveille la nécessité de créer une distance pour se protéger. Comme le dit si bien Stettbacher : « Tant que nous souffrons de tensions dues à des blessures, des surcharges émotionnelles ou des privations, nous vivons sans le savoir à la merci de notre passé. » Et ce passé remontera nécessairement dans le présent du couple, créant le syndrome du yoyo, en ce qui concerne la recherche/évitement de l’intimité. 
Le conflit recherche/évitement peut conduire également au besoin de substitution. L’enfant peut toujours sucer son pouce faute du biberon, ou étreindre son chien en peluche. Parfois, la substitution est très subtile et émerge à l’âge adulte. Tel cet homme d’une trentaine d’années qui pratique le karaté, mais qui se blesse fréquemment. Pourquoi persiste-t-il? Il a eu un père très autoritaire et froid, très peu porté aux contacts physiques. Un jour, en thérapie, il prend conscience qu’il pratique le karaté pour être en contact physique avec un homme substitutif de son père. Le contact chaleureux avec le père cherche en vain à se satisfaire dans ce corps à corps permis par le karaté. 
Les besoins de substitution peuvent prendre des formes multiples : cigarette, alcool, connaissances (livres, diplômes), travail, rendement. La vraie satisfaction ne s’éteint jamais puisque, en définitive, c’est l’amour qui est toujours recherché derrière un objet de satisfaction substitut 
Notre mémoire corporelle garde en elle les conséquences des expériences que nous avons vécues. Il est certes avantageux que l’enfant apprenne de ses expériences douloureuses. Il apprendra très rapidement qu’on ne joue pas avec un couteau dans une prise de courant sans conséquence néfaste. Peut—être qu’une fois adulte, il aura en horreur les fils électriques, sans savoir vraiment pourquoi la mémoire corporelle enregistre également les expériences douloureuses au plan relationnel. La petite fille, qui a vécu l’inceste à deux ans, peut se « rappeler » corporellement qu’une relation d’intimité avec un homme est source de souffrance. Cette expérience peut teinter toutes ses relations amoureuses. Elle est susceptible de redouter d’être prise comme objet sexuel en se méfiant des hommes, ou en niant ses besoins sexuels, comme elle pourra être à la recherche de l’amour, d’aventure en aventure, parce qu’elle aura conclu que c’est seulement par son corps qu’elle peut mériter l’amour ( besoin de substitution). 
Nous avons tous connu des expériences douloureuses avec papa-maman, même si nous n’en gardons aucun souvenir. Cela n’a pas toujours été la lune de miel avec papa-maman, et nous avons vécu de multiples déchirures : le sevrage, les interdictions, la venue d’un nouveau frère, l’entrée à l’école, etc. Plusieurs renoncements sont inévitables et sont susceptibles de laisser des empreintes dans notre mémoire corporelle. Plus tard, dans la recherche d’intimité avec autrui, une lumière rouge s’allume dans notre inconscient : « Attention, si tu t’approches trop, tu fais trop confiance, tu aimes trop, tu vas avoir mal. Tu seras trahi comme avec maman qui t’a abandonné pour ton frère. »  
Notre mémoire corporelle a enregistré les expériences relationnelles positives comme négatives que nous avons connues depuis notre origine. Tout se passe comme si nous avions en nous l’image de la bonne mère et du bon père, comme l’image de la mauvaise mère et du mauvais père. Inévitablement, le couple sera le lieu de projection de ces images. Alors que ce sont les images positives du bon parent intériorisé qui dominent dans la période de lune de miel et qui sont projetées sur l’être aimé, ce sont les images négatives qui seront projetées sur l’autre qui devient alors le mauvais parent à l’étape de la lutte de pouvoir. 
En d’autres termes, lorsque je tombe amoureux, je deviens amoureux de l’image positive de papa-maman que j’ai projetée à l’extérieur sur un « objet » d’amour. Et lorsque cette lune de miel prend fin et que s’engage la période de pouvoir, c’est alors le mauvais parent qui est perçu en l’autre. L’autre devient cette mauvaise mère qui n’est jamais assez disponible ou le mauvais père, agressif. Comment, en si peu de temps, l’autre a-t-il autant changé? En fait, l’autre n’a pas véritablement changé, c’est notre perception de lui qui s’est transformée. L’idéalisation des premiers mois a cédé la place au principe de réalité : l’autre n’est pas que gentil, il est aussi mauvais, parce que frustrant, comme papa-maman jadis. 
Il ne faut pas croire cependant que le conjoint n’est qu’une projection d’images qui n’a rien à voir avec ce qu’il est en réalité? Certes, la perception que nous avons de lui est déformée, mais il renferme bel et bien des traits de caractère positifs et négatifs, semblables à papa-maman. Il est bien connu que l’on choisit des conjoints qui nous feront revivre les mêmes blessures affectives de l’enfance. Statistiquement, nous savons qu’une fille d’un père alcoolique a plus de chance de choisir un homme qui a des problèmes d’alcool. Même chose en ce qui concerne un contexte de violence familiale. La relation de couple risque de devenir la réplique de la famille d’origine. Soit la personne est toujours victime du conjoint violent, soit la victime d’hier devient le bourreau d’aujourd’hui. C’est souvent ce que l’on constate en examinant les personnes incarcérées pour crime, violents contre la personne la plupart du temps, ces criminels ont été victimes de violence dans l’enfance, leur passé contamine leur présent, et ils ne font que tenter de guérir leurs blessures émotionnelles en blessant autrui. Rien n’a vraiment changé, sauf qu’ils se retrouvent dans le rôle de l’agresseur au lieu d’être une victime comme autrefois. Ce changement de rôle de victime à celui d’agresseur s’observe également chez certaines mères qui ont été battues dans leur enfance. Elles vivent la crainte d’agresser à leur tour leurs enfants. 
Nous comprendrons de plus en plus que l’inconscient joue un rôle prépondérant dans la dynamique conjugale. Même avec les meilleures intentions du monde et en voulant réussir à tout prix cette relation d’intimité, les mêmes difficultés rencontrées dans l’enfance risquent de faire surface. 
L’inconscient nous conduit à faire ce que nous ne voulons pas et à ne pas faire ce que nous voulons (paroles d’apôtre), L’intimité ne va pas de soi et on comprend maintenant pourquoi on entend si fréquemment ce genre de phrases : « Dès que je fais l’amour avec une fille, elle ne me dit plus rien. », « nous jouons au yoyo, je m’approche, elle s’éloigne. Elle s’éloigne, je m’approche. » « Soit je m’entends bien avec mais ne la désire pas, soit je la désire passionnément, mais ne ressens aucune affinité. » 
L’intimité sur le plan physique, affectif et spirituel est rare. Plus on s’approche de cette intimité complète, plus on s’approche également de nos blessures d’amour d’enfance, et nous entrons alors dans le cycle de la souffrance/évitement, d’où les distances qui suivent les rapprochements, les querelles monstres qui suivent l’harmonie. S’engager à vivre l’intimité, c’est s’engager à affronter les zones d’ombre, le refoulé en soi qui tenteront de refaire surface à la lumière de notre conscience 
Je me résume ainsi : la vision juste du couple, c’est savoir : 
• Que le conjoint n’est autre que papa-maman quand l’émotion intense d’attraction ou de répulsion me conduit hors de moi. 
• Que je regarde souvent mon conjoint avec les yeux de mon enfant intérieur qui cherche à recevoir ce qu’il n’a pas reçu, à guérir ce qui a été blessé et à exprimer ce qui a été réprimé. 
• Que le couple sera le lieu de la répétition des blessures d’enfance, et de leur guérison éventuelle, moyennant un certain savoir-faire qui favorise une interaction juste. 
 
Publié par Eddy J. Constant Pierre