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COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 12e partie 

LUNDI 24 MAI 2010 

La vie de groupe 
 
Au fil des semaines, un noyau de participants fidèles se forme dans le groupe. Cela crée des dynamiques récurrentes, propres au groupe et aux rôles que les membres s’attribuent les uns aux autres. Par exemple, le garçon qui se montre le moins travaillant lors des activités peut devenir un bouc émissaire. Les coanimateurs ont alors à aider le groupe à articuler leurs points de vue de façon appropriée. Cela aide les garçons à parler de leurs opinions et de leurs affects et à maintenir la cohésion du groupe. 
 
La projection du théâtre intérieur 
 
Quand la confiance s’installe davantage entre les membres du groupe, il peut être intéressant de leur proposer de faire la projection du théâtre intérieur (adaptée du Parts’ Party, de Satir et al., 1991). Dans cet exercice, on demande à chacun d’eux de dresser une série de personnages très connus ou légendaires qui représentent quelques-unes de leurs propres caractéristiques positives ou négatives. Ensuite le groupe choisit une des séries de personnages parmi les séries que certains participants ont partagé avec le groupe. L’auteur des personnages dont il est question choisit alors des membres du groupe pour incarner ses personnages et procède ensuite à la mise en scène d’une situation impliquant tous les personnages, telle que l’écrasement d’un avion à bord duquel les personnages étaient passagers. À la fin de la mise en scène (qui peut être vidéographiée pour visionnement ultérieur par le groupe), l’auteur demande à chaque personnage de se présenter à lui par son nom de personnage et par la caractéristique qu’il représente, puis de dire qui pourrait incarner selon lui l’opposé de cette caractéristique. 
 
Cet exercice donne aux participants l’occasion d’explorer certaines de leurs figures internes en interaction avec les figures internes d’autrui. Cela facilite l’expression affective et l’intégration plus riche et plus souple de ces figures dans leurs psychés. 
 
Conclusion 
 
L’adolescence est un défi d’initiative. Comme Œdipe, chaque garçon doit résoudre les énigmes qui l’interpellent. Blos (1979) décrit l’adolescence comme un passage. Aujourd’hui, il y a peu de rituels pour guider les adolescents à travers ce passage. Si chaque garçon est le héros de sa propre histoire, il est indiqué de l’épauler sur son chemin. Les groupes de pair peuvent être un atout en ce sens, particulièrement lorsqu’ils sont appuyés par un modèle d’animation qui fait la promotion de l’épanouissement personnel. 

DIMANCHE 23 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 11e partie 
Le dessin du père : un défi d’initiative 
 
Pour faire appel au mode interactionnel des garçons, fondé davantage sur l’action que sur l’expression verbale, ainsi qu’à leur esprit compétitif et leur besoin de vie de groupe, L’Oiseau de feu a recours à une formule de défis d’initiative (traduction de initiative challenges), adaptée à partir d’activités développées par la commission scolaire de la Beauce-Etchemin dans leurs groupes père-fils (Enjeux, 2001). 
 
Dans L’Oiseau de feu, le défi d’initiative sert d’agent motivateur pour encourager les participants à échanger sur des thèmes portant sur l’adolescence masculine. « Le dessin du père », une des activités proposées par L’Oiseau de feu, est un bon exemple, d’un tel défi d’initiative. Les garçons sont organisés en deux équipes. Chaque équipe a à relever le même défi : ils forment l’équipage d’une navette spatiale naufragée sur une planète lointaine habitée par des êtres semblables aux humains. Le jour du naufrage est la fête des pères chez ces « extraterrestres ». Ces derniers invitent les astronautes à dessiner des images qui représentent ce qu’est un père sur la planète Terre. Puisque les extraterrestres se méfient des astronautes, ils les attachent deux par deux à la cheville. 
 
Chaque équipe se met alors à fabriquer une immense bannière à partir de bristol et de ruban adhésif. Ils discutent et dessinent puis, une fois qu’ils ont terminé, doivent accrocher leur bannière au mur du gymnase en grimpant dans les échelles, toujours attachés deux par deux à la cheville. Ils ont un temps limite pour faire tout cela. L’équipe avec le plus d’images gagne, mais l’équipe adversaire a le droit d’argumenter la non-pertinence de certaines images et tenter ainsi d’invalider ces images. Ceci donne lieu à des échanges enthousiastes. 
 
Une discussion suit chaque défi d’initiative. La discussion porte autant sur le sujet du défi que sur les dynamiques de chaque équipe. Afin de promouvoir l’apprentissage d’un vocabulaire affectif, les garçons sont encouragés à se référer à des totems, inspirés des cultures autochtones nord-américaines, qui représentent des valeurs et des attitudes : l’aigle pour le leadership et l’initiative ; le bufle pour l’esprit d’équipe et la persistance ; l’écureuil pour l’imagination et l’esprit ludique ; l’ours pour l’affirmation de soi et l’auto-contrôle. Ces totems forment un vocabulaire imagé, concret et transitionnel. Il s’agit de médiateurs qui permettent aux jeunes de parler d’affects sans pour autant se sentir trop vulnérables. 
 
L’avantage d’un défi d’initiative comme celui-ci c’est que les garçons échangent beaucoup entre eux sur le thème en question (en l’occurrence, le rôle du père) sans s’en rendre compte et donc sans trop se retenir. Avec l’aide des animateurs, cela les emmène à une exploration et à une intégration de leurs vies intérieures, enrichissant ainsi leurs identités masculines. Ils apprennent aussi à mieux fonctionner en groupe et à échanger sur les dynamiques d’équipe, ce qui leur permet d’améliorer leurs capacités sociales. 
 
 
SAMEDI 22 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 10e partie 
Le comment faire 
 
Le groupe est animé par un homme ou coanimé par deux hommes ou un homme et une femme. Quand les garçons arrivent, les animateurs leur disent qu’il s’agit d’une occasion de participer à des activités amusantes qui leur permettront d’explorer ce que c’est d’être un gars. On leur dit qu’ils peuvent dire ce qui leur passe par la tête, que presque tout sera considéré comme pertinent et significatif (Malekoff, 1997). L’objectif est de dissoudre le mur de honte qui les sépare de leurs propres affects. Au fur et à mesure que se dissout le mur, ils refont connaissance avec ces affects, découvrent leurs sens et se les réapproprient de manière à ne pas les percevoir comme des menaces à leurs masculinités. 
 
Les reflets, reformulations et autres interventions des animateurs approfondissent l’échange herméneutique. Les dynamiques de groupe y sont aussi pour beaucoup. En plus, d’exprimer leurs propres idées et affects, les participants témoignent des autres qui s’expriment de façon masculine, dans des corps masculins et avec un langage non verbal masculin. Ils ont l’occasion de constater qu’il est possible d’exprimer une grande gamme de pensées et d’affects sans que cela ne soit catastrophique pour leurs masculinités. Ce vécu est assimilé comme autant de manières d’être un gars. 
 
Ces phénomènes de miroir et de modelling se produisent également vis-à-vis des animateurs masculins. Quand il s’agit d’un modèle avec une coanimatrice, la présence d’une femme peut parfois inhiber l’expression des participants, surtout en ce qui concerne les propos sexuels. Par contre, cela procure aux participants l’occasion de voir une relation homme-femme où règne la coopération et de s’habituer à parler de leurs affects en présence d’une femme (Meuner et Roy, 2000). En fait, certains garçons réagissent de façon positive à la présence maternelle d’une coanimatrice. Une coanimation homme-femme permet aussi la reproduction du triangle oedipien au sein duquel le garçon peut cheminer de la mère vers le père sans pour autant perdre la disponibilité de la mère. 
 
Il arrive parfois que l’animateur adopte un rôle plus féminin et maternel et que l’animatrice assume un rôle davantage masculin et paternel. Par exemple, l’animateur peut se pencher sur la facilitation de la verbalisation des affects pendant que l’animatrice s’occupe de maintenir l’ordre et la discipline au sein du groupe. Ceci permet aux participants d’observer la flexibilité des rôles sexuels. 
 
L’Oiseau de feu ne propose pas de recettes quant à l’identité masculine. Les participants suivent leurs propres chemins et en arrivent à leurs propres conclusions. Le modèle est donc heuristique. 
 

VENDREDI 21 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 9e partie 
Le Thunderbirds Boys’ Group 
 
Lancé au début de l’année scolaire 1996-1997, le Thunderbirds Boys’ Group vise à soutenir la consolidation de l’identité masculine adolescente sur une trajectoire saine et non-violente. Il a élu domicile à l’Académie LaurentHill, l’école secondaire publique anglophone de Saint-Laurent, une banlieue urbaine de Montréal composée de plus de quarante ethnies. 
 
À l’origine, un remue-méninges d’une heure offert une seule fois, aux garçons seulement, dans les cours de morale, le Thunderbirds Boys’ Group était une activité hebdomadaire se déroulant pendant l’heure du lunch sur une base volontaire. Il s’agissait d’un modèle ouvert et continu, qui ciblait les garçons en secondaire 1 et 2, généralement âgés de 12 à 14 ans. 
 
La prémisse est que les adolescents masculins bénéficieraient de l’occasion d’échanger entre eux sur leur vie intérieure. Cela faciliterait leur intégration psychique et améliorait leurs compétences sociales. Mais si les garçons parlent si peu entre eux, comment les aider à échanger ? 
 
L’oiseau de feu 
 
Le Thunderbirds Boys’ Group s’inspire de l’Oiseau de feu, un modèle d’intervention de groupe pour adolescents masculins (Plouffe, 2001-A, 2001-B). L’Oiseau de feu n’est pas un livre de recettes. Le modèle prend souche dans une solide compréhension de la psychodynamique de l’identité masculine et de l’adolescence masculine. Il se déploie à travers une approche et une attitude de la part des animateurs qui permettent aux garçons de parler sans honte, de réfléchir, de cerner le sens de leurs dires, de travailler ensemble, de faire un effort soutenu puis de comprendre les conséquences de leurs pensées, de leurs émotions et de leurs gestes. 
 

JEUDI 20 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 8e partie 
Les groupes de pairs pour adolescents : au-delà du vestiaire 
 
Il n’y a pas une pénurie de groupes pour adolescents masculins. Au Québec, presque chaque communauté a ses équipes de hockey, de soccer et de baseball. Les garçons se rassemblent spontanément dans les cafétérias d’école, les autobus et les centres d’achats. Les garçons se rassemblent depuis la nuit des temps. C’est en fait une des caractéristiques de l’adolescence masculine que de cultiver entre eux un sentiment d’appartenance et de loyauté (Erikson, 1968). 
 
Les garçons vivent beaucoup de choses à travers ces expériences de groupe. Selon Michèle Montrelay (citée dans Dumas, 1990, p.31), le groupe de pairs représente d’abord pour eux le corps de la mère : accueillant et acceptant. Ensuite, quand le groupe se dote d’une hiérarchie, il représente davantage le corps du père : un galon qui les aide à se mesurer, un jalon qui les aide à se situer. 
 
Quoique les activités de groupe traditionnelles des adolescents leur transmettent des valeurs et des habiletés sociales (certaines positives, certaines négatives), un observateur averti remarquera que les propos abordés au sein de tels groupes ne touchent que peu aux émotions au-delà de l’expression d’une gamme affective plutôt étroite. Les adolescents se côtoient entre autres pour trouver refuge face à la confusion créée par l’identité masculine. Toutefois, les dynamiques de leurs personnalités et du groupe, conditionnées et restreintes jusque-là par ses limites de leur développement psychosocial, ne facilitent pas nécessairement l’émergence d’une identité masculine qui intègre toutes les facettes de leur être. Ils ont besoin de quelque chose au-delà de la simple occasion d’agir et de se parler. 
 

MERCREDI 19 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 7e partie 
Le père absent 
 
Qu’en est-il du garçon sans père ou dont le père occupe peu de place dans sa vie ? Son identité masculine est-elle vouée à l’échec présagé par le titre bien connu, Père manquant, fils manqué (Corneau, 1989) ? Force est de croire qu’un garçon peut être en contact avec des figures paternelles autres que son père biologique et peut à la rigueur porter en lui-même une figure paternelle composée de représentations d’hommes et du travail de son imagination. 
 
Les nouvelles formes de vies familiales 
 
Le rôle paternel tel que défini par la grille psychanalytique se limite-t-il aux personnes de sexe masculin ? Est-il possible, par exemple, de trouver au sein d’un couple lesbien une figure paternelle ? Ces questions débordent du cadre du présent article, mais il demeure tout de même pertinent de souligner l’importance de telles questions dont les réponses pourraient témoigner de la grande capacité d’adaptation de l’esprit humain. 
 
La vie sexuelle 
 
C’est à l’adolescence ou au début de la vie adulte que le jeune tente de s’approcher des filles ou des femmes de façon sexuelle. Il revient alors, en réalité et en fantasmes, vers un corps différent du sien et du même sexe que celui de sa mère. Ce mouvement peut être vécu comme régressif et anxiogène par le jeune, qui risque de l’associer à une fusion avec la mère. De là, la tendance chez certains jeunes de fanfaronner par rapport à leurs conquêtes sexuelles, afin de chasser de leur esprit toute connotation fusionnelle. 
 
Autant que le mouvement peut être vécu comme régressif, autant peut-il avoir un potentiel libérateur et transformateur, permettant au jeune de projeter sur l’objet de son désir sa propre féminité, puis de faire preuve de tendresse et de sollicitude envers cette féminité, qui lui revient ainsi enrichie sous forme d’introject. 
 

MARDI 18 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 6e partie 
L’anorexie projective 
 
Dans la mesure où il étouffera le féminin en lui, où il refusera de le nourrir ou de s’en nourrir, nous pouvons parler d’anorexie. Les stéréotypes masculins dont il tente de s’alimenter manquent de substance et sont même toxiques. Il s’agit d’une nourriture incomplète pour l’identité masculine, car dépourvue d’éléments féminins qui lui permettaient d’être en relation avec toutes les facettes de lui-même et faciliteraient ses relations avec les femmes en lui permettant de s’y identifier (Jung, 1951). Sans contact avec son intérieur féminin, l’adolescent ne peut le projeter sur les filles ni sur les femmes, ce qui pose obstacle à sa capacité d’empathie vis-à-vis d’elles. 
 
Inconsciemment, cette anorexie, ou le refus de nourrir et de se nourrir de son féminin, peut être difficilement tolérable, car la féminité du jeune ne cesse de surgir puis de s’imposer et la restriction de cette féminité est mutilante pour lui sur le plan identitaire. La souffrance qui s’ensuit peut mener à une projection de cette anorexie sur les filles et sur les femmes dans un processus d’anorexie projective (Plouffe, 2002). L’adolescent projette sur elles sa féminité persécutée qu’il considère comme inacceptable, et oriente la restriction de cette féminité vers elles. Ainsi, un jeune peut en venir à exprimer des commentaires désobligeants à l’égard des rondeurs et de la sensibilité émotionnelle des filles et des femmes de son entourage. Cela peut même se produire à l’échelle collective des sociétés, telles que la société nord-américaine, qui ne valorisent pas le féminin. 
 
La présence d’une figure masculine positive, surtout d’un père, peut contrer ce phénomène en fournissant à l’adolescent un modèle d’homme qui a réussi à intégrer ses aspects féminins sans que cela ne détruise sa masculinité, mais, au contraire, en faisant en sorte que cela complète sa masculinité. Le jeune peut voir en lui, de par son gestuel, sa voix et ses formulations, un homme qui a assimilé ses qualités féminines et les exprime en homme. Ce phénomène de modelling peut aussi se produire entre pairs adolescents. 
 
 
LUNDI 17 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 5e partie 
L’adolescent et le père 
 
Toutefois, dans le retour de la dynamique oedipienne, le garçon a beaucoup plus de besoin face au père que face à la mère. Il a besoin de se mesurer à son père, de rivaliser avec lui, afin de tester ses propres capacités en tant que mâle. Il a besoin d’être vu comme un homme par son père, afin d’être confirmé dans sa masculinité. Il a besoin de regarder avec son père, dans la même direction, et de voir les choses de la même façon, afin d’expérimenter davantage la complicité masculine et d’adhérer au modèle d’homme que lui propose son père (Delisle, 2000). Il a aussi besoin de regarder sans son père, de voir les choses à sa façon et autrement que par les lunettes paternelles, ce qui peut être facilité par la fréquentation de groupes de pairs masculins. Comme l’affirmation Olivier (1980 p.67), il doit aussi passer de « l’être-comme » (identification) à « l’être-soi » (identité). 
 
Il y a donc une polarité relationnelle dans le lien père-fils, c’est-à-dire que leur relation est à la fois sympathique et antagoniste. Si l’adolescent persiste trop dans le rôle antagonique, dans le refus de l’héritage paternel, et ce, au-delà de la rébellion normale (Erikson, 1959), dû à la perturbation de l’attachement père-fils, son identité masculine peut être carencée et le passage au manhood compromis. L’absence du père ou d’une figure masculine adulte positive peut amplifier cette défiance. Consciemment ou pas, l’adolescent vit du ressentiment envers le père absent, qu’il projette sur les figures d’autorité homme ou femme. Cette défiance amplifiée est aussi un appel à l’aide, en ce sens que le jeune tente de provoquer la paternité chez les figures d’autorité hommes ou femmes et d’évoquer ainsi le père. 
 
Qui plus est, l’absence du père ou d’une figure masculine positive peut mener à un sentiment d’inadéquation chez le jeune, qui en vient à se dire, « Je ne mérite pas un père ». L’absence du père peut être compensée chez l’adolescent par le développement d’un surmoi tyrannique qui persécute son féminin intérieur, exacerbant ainsi la différenciation sexuelle par la complémentation. L’adolescent aura donc encore plus tendance à se définir comme homme en s’opposant non seulement aux femmes, mais en se coupant aussi de son féminin intérieur, car toute féminité sera perçue comme une menace à son identité sexuelle masculine et comme un risque de fusion avec la mère. 
 

DIMANCHE 16 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 4e partie 
L’adolescent et la mère 
 
L’adolescent est ambivalent face à la mère. Il persiste chez lui une quête de la fusion avec elle, issue d’une anxiété de séparation, ainsi qu’une fuite de cette fusion, amorcée par son besoin d’individuation. La quête de la fusion maternelle est liée à la peur de la vie, la peur d’être un individu (Rank, 1929-1931). Cette quête peut mener à une inhibition identitaire, ce qu’Erikson (1968) nomme « rôle fixation ». La fuite de la fusion maternelle part d’une anxiété d’annihilation, ou de la peur de la mort et de ne plus être un individu (Rank, 1929-1931). Quand elle est modérée, cette fuite peut mener à la consolidation identitaire, ce qu’Erikson (1968) nomme « role experimentation ». 
 
Dans les sociétés tribales, les garçons passent de l’enfance à l’âge adulte par le truchement de rites initiatiques (Campbell, 1949). On leur fait grâce de l’adolescence. Ces rites sont menés par des mâles adultes et ont pour but de rompre le lien entre le garçon et la mère, afin qu’il puisse entrer dans le monde des hommes. 
 
Dans notre société, le passage au monde des hommes est censé se faire de façon définitive au cours de l’adolescence. L’adolescent qui se retrouve sans rites pour l’encadrer, ni père, ni figure paternelle pour l’épauler, risque d’éprouver de sérieuses difficultés lors de ce passage. De plus, sans père ni figure paternelle, il lui est difficile d’avoir recours à l’oedipe. Or, le retour de la dynamique oedipienne est un mécanisme qui répond très bien aux besoins d’individuation et d’identification sexuelle du garçon. Il s’agit toutefois d’un mécanisme complexe, comportant plusieurs éléments. 
 
D’abord, on y retrouve le désir de la mère, surtout inconscient, porté sur la lame de fond de l’afflux hormonal et de la fébrilité sexuelle qui s’ensuit. Le désir de la mère est anxiogène, car elle entraîne le garçon vers la fusion maternelle qui représente la mort de son individualité. Le désir de la mère mène au besoin chez le garçon d’être vu par elle comme un mâle qui peut être sexuellement désirable, sans qu’elle le désire sexuellement. 
 

SAMEDI 15 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 3e partie 
Les attitudes envers les masculinité et féminité 
Le attitudes des parents envers la masculinité et la féminité sont des facteurs psychosociaux de risque et de résilience pour l’identité masculine (Pollack,1998 ;Cyrulnik,1989). Ces attitudes peuvent soit contribuer à la promotion d’une identité masculine saine chez le garçon, soit nuire au développement de son identité sexuelle. Par exemple, quelle est l’attitude de la mère envers la masculinité ? Du côté du père, est-ce qu’il trouve cela bien d’être un homme, un père ? La mère a-t-elle des croyances rigides sur ce que c’est d’être un homme ? Quelles sont les attitudes du père envers la féminité, la mère ? Comment la mère parle-t-elle du père à l’enfant ? Comment le père voit-il son propre père ? 
 
Nous pouvons nous poser les mêmes sortes de questions par rapport aux figures de l’entourage, telles que la parenté, les voisins et les amis de la famille. Il est important aussi de tenir compte de l’organisation sexuelle des contextes social et culturel du garçon, à savoir la façon dont la culture et la société d’appartenance du garçon définissent la masculinité et la féminité. Le fait que l’environnement signifie le père a aussi beaucoup d’impact. Par exemple, à travers le biais de sa nomenclature, le réseau sociosanitaire qualifie régulièrement une famille où le fils vit avec sa mère et voit son père les fins de semaine de « famille monoparentale » (Gaudet et Devault, 2001). Pourtant, il y a deux parents dans ce portrait-là. 
 
Le retour de l’oedipe 
Lors du retour de l’oedipe, à l’adolescence, le rôle paternel de contrainte à la fusion mère-fils s’avère une source de réconfort pour le garçon, qui doit composer avec la lourde tâche d’assimiler sa sexualité génitale et l’image corporelle qui s’ensuit (Laufer, 1968). Le père incarne le tabou de l’inceste (Freud, 1933 ; Corneau, 1989 ; Cyrulnik, 1989 ; Cournut, 1997) et représente ainsi un pilier auquel l’adolescent peut s’accrocher afin de ne pas sombrer dans la relation symbiotique avec la mère, ce qui l’anéantirait en tant que mâle et en tant qu’individu. D’autre part, la figure paternelle sert de repère pour permettre au garçon de poursuivre son individuation de la mère et son identification au masculin. Étant donné son apport potentiel à la consolidation de l’identité masculine, il serait peut-être plus approprié de parler de dynamique oedipienne au lieu de complexe d’Œdipe. 
 

VENDREDI 14 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 2e partie 
Qu’est-ce que l’identité masculine ? 
La masculinité varie d’une culture à une autre (Mead, 1928) et d’un individu à l’autre. L’identité masculine doit nécessairement s’échapper de la rigidité d’une description définitive saine, on peut avancer qu’il s’agit d’un certain équilibre entre les aspects masculins et féminins sur le plan intrapsychique (Jung, 1951) qui se traduit par des relations interpersonnelles harmonieuses avec les deux sexes. Bien entendu, aucun homme n’est parfaitement conforme à cet idéal. Mais cela ne l’empêche pas d’y aspirer afin de se sentir mieux dans sa peau. Dans cette page, il ne sera question que d’identité masculine hétérosexuelle et issue de la culture occidentale dominante, car les questions d’identités masculines homosexuelles et interculturelles déborderaient du présent cadre. De plus, les concepts des qualités masculines et féminines dans cet article se limitent aux concepts propres à la culture occidentale dominante. 
 
Outre-mère 
 
Le garçon ne passe pas instantanément du ventre maternel au monde « outre-mère » ou au-delà d’elle. Issu de la fusion intra-utérine, il vit, lors des premières semaines qui suivent la naissance, une sorte de prolongation de cet état fusionnel. Du creux de la symbiose mère-fils, le garçon ne se différencie d’elle que tout doucement. Il a d’abord recours à la complémentation sexuelle, plutôt qu’à l’identification sexuelle (Bureau, 1998). Pour la fille, sa relation avec sa mère est à la base d’une identification à son propre sexe (Olivier, 1980). Pour le garçon, sa mère représente en partie une inversion du rôle de mâle qu’il aura à assumer. 
 
Afin de réaliser son identité masculine, le garçon doit prendre certaines distances face à la mère. En ce sens, la proximité de la mère peut être menaçante à son identité masculine (Olivier, 1980). Parallèlement, il a besoin de sa mère et y est attaché au point de ressentir de la nostalgie pour le paradis perdu de l’état fusionnel (Pollack, 1998). 
 
La honte 
La honte est un sentiment particulièrement masculin (Pollack, 1998 ; Osherson & Krugman, 1990). Selon Haviland & Malatesta (1981), dès les premiers mois de la vie, les garçons sont non seulement plus expressifs que les filles, mais reçoivent de la rétroaction positive surtout pour l’expression d’affects positifs, ce qui n’est pas le cas pour leurs consoeurs. Les garçons apprennent donc assez rapidement à taire en eux les affects plus négatifs, telles que la tristesse et l’angoisse (pas la colère, par contre). On encourage aussi les garçons, dès les premières années, à se séparer de la mère et à prendre leurs distances du monde féminin (Pollack, 1998, p.11). 
 
Ceci suscite chez le garçon un profond sentiment de honte face à ses affects négatifs et face à sa propre féminité. Il en vient d’ailleurs à associer ses affects négatifs à son féminin intérieur. La honte le détache de ces facettes de lui-même et du même coup les cachent du monde extérieur (Lee, 2000,p.18). Le garçon subit par conséquent une grande solitude affective et une vie intérieure mutilée. Il peut en venir à construire son identité masculine comme un « faux soi » (Winnicott, 1960) afin de répondre aux attentes de son environnement plutôt qu’à ses propres besoins psychiques. 
 

JEUDI 13 MAI 2010 
COMPRENDRE L'IDENTITÉ MASCULINE 1e partie 
Pour Jean-Pierre Plouffe, la trajectoire de l’identité masculine comme celle de l’identité feminine est ponctuée d’étapes psycho-développementales qui sont autant de configurations relationnelles proposant à l’homme ou à la femme d’autres dimensions de sa masculinité ou de sa féminité. L’identité sexuelle est rarement consolidée une fois 
 
pour toute. Elle évolue d’habitude, si ce n’est qu’en termes d’ajustements subtils, tout au cours de la vie. L’adolescence est une étape critique. Cet article explore les dynamiques inhérentes au développement de l’identité masculine adolescente selon la théorie psychanalytique des relations d’objets. De plus, il esquisse des dynamiques dans l’intervention de groupe auprès d’adolescents masculins sur la question de l’identité masculine. 
 
Qu’est-ce que l’identité ? 
 
Ce sont surtout les théoriciens de la psychologie du moi qui se sont penchés sur la question de l’identité (Hartmann, 1950 ; Erikson, 1959, 1968). Hartmann (1950) préconise l’usage du terme « self-representation » pour dénoter l’objet investi par la libido dans le narcissisme. Erikson (1968, p.50) fait la distinction entre une identité perceptuelle (« personal identity ») et une identité consciente (« ego identity »). 
 
L’identité aurait à la fois une qualité de permanence qui maintient un sentiment de continuité chez l’individu à travers le temps et l’espace, ainsi qu’une qualité ponctuelle permettant à l’identité d’être plus ou moins colorée par les contextes relationnels dans lesquels se retrouve l’individu d’un moment à l’autre (Wheeler, 2000). Il serait donc opportun de parler d’identité en termes de représentations de soi qui peuvent s’inscrire dans une structure ou dans un processus et qui peuvent être plus ou moins conscientes. Un dérivé des relations objectales, l’identité est un facteur critique au sein des relations interpersonnelles. 
 
En somme, l’identité serait composée des variables suivantes, qui s’inspirent largement des définitions de l’identité qu’avance Erikson (1968) : 
- Les représentations que la personne fait de soi (auto représentations de soi) ; 
- Les représentations que la personne fait des représentations d’elle qu’ont les autres ; 
- Les rôles sociaux qui sont proposés à la personne ; 
- Les rôles sociaux que la personne adopte. 
 
MERCREDI 12 MAI 2010 
DIFFICILE D'ÊTRE HÉTÉROSEXUEL 2e partie 
On ne peut pas ne pas signaler deux témoignages remarquables tous deux pour des raisons différentes. D’abord, celui de Thomas Trahant sur l’homosexualité. On sait peu de choses sur le comportement homosexuel. On le voit de loin. On l’imagine surtout et les stéréotypes abondent. L’auteur nous propose donc quelques « portraits » très sensibles et qui ne cachent aucunement ce qui paraît être une banalité dans le monde homosexuel masculin : la multiplicité de l’aventure sexuelle. Mais ce n’est pas tout. On y voit que l’homosexuel masculin s’interroge lui aussi sur sa nature. On le voit chercher des « types » possibles, viables. Puis, le témoignage de Marc Chabot, professeur de philosophie à Québec. Son interrogation est, dans un sens, plus tragique parce qu’il représente l’hétérosexuel masculin majoritaire. Comment l’hétérosexuel peut-il se définir au sein de ce brassage social dont il est le témoin et parfois la victime? Comment résister aux assauts de l’homosexualité, du féminisme…et des autres hétérosexuels qui ne tiennent pas tellement à se poser de questions? Dans une entrevue qu’il a accordée à Marc Chabot, il lui a raconté cette histoire assez révélatrice. Il a prononcé une conférence devant les Gais de l’Université Laval. Le lendemain, participant à une joute de hockey, ses coéquipiers, fort gênés, lui ont demandé s’il était « viré gais ». Mais non! Il n’était pas viré gai. Il acceptait simplement de parler, de se mettre en situation de comprendre et, surtout, de se comprendre. 
 
Plus général est le bel article « lacanien » de Patrick Valas sur la sexualité de l’homme en général. Il se pose la question de savoir si cette nature sexuelle masculine est semblable à la nature féminine. Faisant sienne l’idée de Lacan, Patrick Valas postule une sexualité masculine « perverse ». Il écrit : « La perversion est bien un mode d’exercice du désir où se manifestent toutes les passions humaines, avec leurs nuances, de la honte au prestige, de la souffrance à l’héroïsme… » Il y a beaucoup à dire sur ce sujet. On ne se gêne pas d’ailleurs. C’est pourtant là un domaine du spécialiste qui, lui-même, n’y retrouve pas toujours son latin. Mais il en faut. 
 
Ce petit livre a malheureusement ses propres limites. L’hétérosexualité mâle a imposé son discours durant de nombreux siècles, pour le meilleur et pour le pire. Elle a occulté tout autre discours ou à peu près. L’hétérosexualité masculine serait-elle un « genre épuisé »? On aurait dû traiter de cette question. D’un autre côté, il y a beaucoup de théories dans ces textes et pas beaucoup de choses pratiques. Changer? Très bien! Comment? Si l’on excepte les deux témoignages que j’ai cités, remarquables justement à cause de ça, il n’y a pas grand-chose de concret là-dedans. Quelques statistiques des changements réels (place de la femme dans le marché du travail, évolution de la loi concernant la pratique sexuelle, etc…) n’auraient pas fait de mal. 
 
Les sexes de l’homme participe d’une prise de conscience collective très difficile, surtout pour les hétérosexuels mâles. Cela, il ne faut jamais l’oublier, ni en rire. Il n’est pas toujours facile d’être femme, il n’est pas toujours facile d’être homosexuel. Il n’est pas facile non plus d’être hétérosexuel mâle. 

MARDI 11 MAI 2010 
DIFFICILE D'ÊTRE HÉTÉROSEXUEL 
Non, ce n’est pas facile d’être hétérosexuel, dites-vous? 
 
C’est ce que nous apprend Jean Basile et citant le livre « Les sexes de l’homme » de Geneviève Delaisi que depuis que les « rôles sexuels ont été remis en question, il y a eu bien des interrogations et peu de réponses. C’est que le champ de la sexualité considérée dans ses rapports avec l’autre est un domaine difficile à cerner, piégé de toutes parts. C’est là, en effet, où l’être humain éprouve sa complexité. C’est là où il découvre son angoisse. 
 
Mais, lentement, des lignes directrices émergent qui permettent de mettre un peu d’ordre dans cette jungle toujours à explorer. Dans un petit livre parfois remarquable, Les Sexes de l’homme, la préfacière, Geneviève Delaisi de Parseval, dégage les deux axes principaux qui ont presque forcé les mâles hétérosexuels à réévaluer leur identité profonde : le féminisme et l’homosexualité masculine. Le féminisme, parce que le mâle hétérosexuel s’est vu soumis à un désir qui ne passait plus par ses propres fantasmes mais bien par les fantasmes de sa ou ses partenaires. L’homosexualité, parce que l’homosexuel masculin au-delà de toutes ses marges, vit, selon le mot de l’historien des mentalités. Philippe Ariès, « une sexualité à l’état pur, et par conséquent, une sexualité pilote ». 
 
Ces deux assertions, si brutales, sont certainement choquantes. Peu d’hommes hétérosexuels y réagiront positivement. Quoi! Les «p’loves » et les « fifs » vont nous donner des leçons! Il semble que cela soit pourtant vrai, étant entendu qu’il ne faut pas mélanger ce que l’on voit aisément du féminisme et de l’homosexualité masculine (la démarche politique radicale, le terrorisme intellectuel ou émotif) et une réalité plus profonde…que ne connaissent pas toujours la féministe et l’homosexuel, pris eux-aussi, dans la ronde des apparences et des futilités. 
 
L’avantage de ce petit livre est sa clarté. Il ne tombe jamais dans la polémique ou la simplification à outrance. Il y a donc quelques témoignages, puis un peu de physiologie, puis un peu de physiologie basée sur une clinique. Chaque texte arrive à sa place, explique, détruit un petit mythe au passage. Tous montrent que la question est chaude, que l’hétérosexuel masculin, lui aussi, est encore la victime de préjugés. Celui de la masturbation, par exemple, le « vice » par excellence des vieux collèges classiques, que le pape condamne encore, dont l’on sait pourtant aujourd’hui qu’elle est sinon innocente, inévitable du moins. 
 
 LUNDI 10 MAI 2010 
LA FABRICATION DU MÂLE - 13e partie 
CONCLUSION  
 
La culture masculine est un monde de force, de courage, de bravoure, de détermination et de victoire. Cet univers est peuplé de rois, de princes, d’amants magnifiques, de héros, de magiciens, de chevaliers superbes et d’athlètes (Nantel, 1998). Il est aussi hanté par la solitude, par la coupure du lien ainsi que par la peur de la vulnérabilité, de l’échec et de la honte. 
 
La solitude des hommes comme un aspect central de leurs difficultés, favorise le développement de plans d’intervention davantage pertinents en ce qui touche les individus, les groupes, la relation d’aide est porteuse de valeurs, d’attitudes et d’orientations qui peuvent amplifier l’isolement masculin. Une vision de la pratique, considérant les diverses institutions et les communautés. L’intervention sociale auprès des hommes est essentiellement une question de liens car elle questionne l’image associée aux rôles masculins ainsi que les rapports sociaux basés sur l’individualisme, la productivité et les valeurs patriarcales dominantes. 
 
L’approche structurelle utilise les mêmes techniques d’intervention avec lesquelles tout intervenant social formé à « l’école du féminisme » est familier. Elle sensibilise à préserver une ouverture d’esprit pour l’ensemble des populations et tient compte des diverses relations de pouvoir et des multiples sources idéologiques d’aliénation qui affectent les relations entre les hommes de diverses masculinités à être plus près d’eux-mêmes, plus près des autres et de leurs collectivités au-delà des autres et de leurs collectivités au-delà des visions stéréotypées, des dogmes et des idéologies dominantes, dualisantes et aliénantes. 

DIMANCHE 9 MAI 2010 
LA FABRICATION DU MÂLE - 12e partie 
a) Intervenir sur les liens « homme et réseaux-sociaux » 
 
Il apparaît clairement que les normes de conduite masculines et le processus de socialisation donnent la priorité à une identification centrée sur des rôles prescrits et hiérarchisés laissant peu de place à la sensibilité. Une intervention auprès des hommes peut remettre en question les valorisations, les contraintes et les inconvénients de devoir se conformer à des rôles restrictifs. L’homme peut devenir un agent de changement visant à se définir, à redéfinir ses rôles et ses relations. 
 
La reconnaissance des composantes structurelles pourra faciliter le partage en groupe. Les rencontres de groupe permettent de faire les liens entre l’idéologie dominante, les rôles traditionnels actualisés, la socialisation masculine, les conditions de vie, les difficultés vécues et les définitions des problèmes masculins. Il importe de rappeler que la participation à un groupe peut être un processus long et exigeant qui ne correspond pas à toutes les situations, ni à tous les types masculins. 
 
Conscientiser le client à l’oppression qu’il subit et/ou qu’il a appris à subir est aussi un objectif particulièrement pertinent à l’approche structurelle. Il ne s’agit pas d’imposer son système de valeurs ou sa vision personnelle mais plutôt de tenter de trouver des éléments de solution, de générer des optiques nouvelles qui sont susceptibles de donner un peu d’espoir….(Lévesque et al., 1985, p.422). 
 
L’homme qui est généralement isolé peut également apprécier la possibilité de développer des habiletés relationnelles au-delà de la performance et de la compétition. L’intervention favorise la pratique du lien de collaboration et la réalisation d’une affirmation réciproque. Il est aussi possible de cultiver l’implication au sein de réseaux d’amitiés, d’activités de groupe et familiales pour briser l’absence de lien. 
 
d) Intervenir sur les liens « homme et société » 
Selon certaines visions, intervenir afin d’améliorer le lien des hommes avec leur société peut sembler incongrue. Malgré le rôle masculin conservateur de responsable de la sphère publique, il nous semble que la grande majorité des hommes, marginalisés ou non, se sentent davantage l’objet des forces socio-politico-économiques qu’un sujet de la transformation et de l’évolution de leur collectivité. 
 
L’intervention sociale auprès des hommes devrait reconnaître la diversité des masculinités et aider les hommes à déterminer l’impact qu’ont les valeurs sociales, culturelles et politiques dominantes sur leur vécu personnel et sur leurs relations. Elle peut également aider les hommes à sortir de leur isolement et favorisant le développement de solidarités et encourageant les hommes à participer activement à leur collectivité en fonction de la diversité des besoins, valeurs, intérêts et aspirations. Il peut s’agir aussi bien de bénévolat et d’implication dans des mouvements sociaux que de participation à des activités de loisir, d’éducation, de création et de spiritualité sans pour autant se limiter aux sphères traditionnellement considérées masculines ni en survalorisant le travail et la productivité. 
 
Au plan social, il est nécessaire de valoriser l’implication des hommes comme agents de changement dans leur collectivité. Dans leurs différents milieux, ils sont susceptibles d’exprimer leur créativité, de transmettre de nouvelles références et de proposer des liens plus humains. 
 

SAMEDI 8 MAI 2010 
LA FABRICATION DU MÂLE - 11e partie 
b) Intervenir sur le lien « homme et réseau d’aide formelle » 
 
Dulac (1997) a documenté la difficulté du réseau d’aide formelle de répondre aux besoins des hommes en difficulté. Cette inadaptation des ressources formelles doit être prise en compte dans le portrait global de l’isolement des hommes. D’autres études, effectuées surtout dans les services sociaux à la famille, corroborent les observations de Dulac (1997) (Gaudet et Devault, 2001). 
 
Il n’est pas surprenant que ce soit les services sociaux à la famille qui soient au cœur des débats actuels sur l’intervention auprès des hommes. La famille étant le « vaisseau amiral du conservatisme », les services sociaux à la famille se retrouvent au cœur d’un bouillonnement idéologique. Canetto (1996) soulignait que les sciences humaines reflètent et contribuent à alimenter la position culturelle conservatrice faisant de la famille conservatrice Le modèle auquel toutes les autres formes familiales sont jugées et comparées. Le père cherchant à jouer un rôle de premier plan auprès de ses enfants se heurte donc autant à la norme conservatrice qu’à des services sociaux mal adaptés à sa réalité. Pourtant, Moreau soutenait que pour l’approche structurelle « toutes les formes de familles, et non seulement la famille biparentale, hétérosexuelle, isolée, nucléaire, représentée par l’homme unique ou principal pourvoyeur, et la femme à la maison ou gagne-pain secondaire, sont encouragées, tant concrètement que dans les politiques sociales » (Moreau, 1987,p.239). 
 
Il nous est apparu important d’œuvrer de manière à reconnaître concrètement les besoins et les réalités des hommes aux prises avec des difficultés sociales. En accord aux prises avec des difficultés sociales. En accord avec nos observations, le S.A.C. (Service d’aide aux conjoints) a adapté ses structures, ses services et ses modes de fonctionnement conformément aux caractéristiques des participants. Il nous semble également nécessaire de contribuer à documenter les besoins des hommes et d’appuyer les développements de ressources et de services. Il s’agit de faciliter l’accès réel des hommes de diverses masculinités aux ressources d’aide en favorisant la remise en question des normes conservatrices hiérarchisantes, dualisantes et aliénantes. 
 

VENDREDI 7 MAI 2010 
LA FABRICATION DU MÂLE - 10e partie 
a) intervenir sur le lien « homme et intervenant(e) » 
 
La relation sur laquelle il est possible d’intervenir, dans le but de favoriser les liens des hommes, est celle que nous établissons nous-mêmes avec les participants masculins. La prise de contact et l’accueil demeurent particulièrement fondamentaux pour soutenir ou anéantir une relation d’aide. L’établissement d’un lien de confiance et d’une relation dialogique permet un échange dans un processus de développement. Les principaux objectifs du lien entre l’individu et l’intervenant(e) sont : agir pour favoriser la confiance, connaître et apprendre ensemble, partager la solution au problème, partager le contrôle de l’entrevue et maintenir une ouverture réciproque (Lévesque et al., 1985). Les dimensions sociales des problèmes sont validées et les enjeux sociaux reconnus pour « démarquer la responsabilité individuelle et la responsabilité sociale dans la situation d’une personne » (Moreau, 1987, p.233). 
 
Les hommes nous laissent percevoir que les principales qualités qu’ils apprécient d’un(e) intervenant(e) demeurent la franchise, l’ouverture, l’écoute, l’honnêteté, l’intérêt, l’égalité, le respect et la flexibilité. Ils apprécient la qualité du lien, les tentatives de coopération pour trouver conjointement la définition du problème et l’aide pour décrire leurs idées, leurs sentiments et leurs comportements. Il s’agit finalement des caractéristiques de la relation dialogique. 
 

JEUDI 6 MAI 2010 
LA FABRICATION DU MÂLE - 9e partie 
e) La judiciarisation comme réponse unique 
 
Les problématiques qui affectent les hommes mènent souvent à une judiciarisation. Le service social partage avec les institutions régulatrices une fonction de contrôle social. La violence, la toxicomanie, l’itinérance, le divorce, l’homosexualité, le chômage et même le décrochage scolaire sont encadrés par des législations. Un autre des pièges de l’intervention sociale auprès des hommes est de valoriser uniquement des actions coercitives afin de réagir à la marginalité par la dénonciation et l’encadrement. 
 
L’arrestation ou l’emprisonnement des déviants est l’ultime répétition de l’humiliation et de l’isolement ayant caractérisé la socialisation des hommes. Bédard (1998) soutient dans un historique des institutions de charité (devenues institutions d’aide) que les pauvres méritants ont droit à l’aide, tandis que les non-méritants ont droit aux tribunaux. Il précise que « pour être bon, le pauvre doit être innocent, naïf, victime, réceptif et reconnaissant » (Bédard, 1998, p. 30). Il est à noter que ces caractéristiques sont habituellement considérées féminines dans la définitive sexiste des genres. Les hommes se différenciant de ces caractéristiques rapportent davantage être perçus comme non méritants par les institutions d’aide. 
 
IV. INTERVENTION SOCIALE ET RELATION D’AIDE AUPRÈS DES POPULATIONS MASCULINES  
 
Dans le processus d’intervention sociale auprès des hommes, il est indispensable de clarifier une vision théorique et de demeurer particulièrement attentif aux valeurs associées à une pratique vers le changement social. 
 
Les prémisses de l’approche structurelle suggèrent que « les conditions matérielles objectives engendrées par le patriarcat et le mode de production capitaliste déterminent avant tout la façon dont les hommes et les femmes, selon leur classe sociale, pensent, agissent et se sentent » (Moreau, 1982b, p.159). Ce postulat invite les intervenants à définir et à solutionner les problèmes sociaux dans leur contexte social, économique et politique. L’approche structurelle évite d’établir une hiérarchie entre les formes d’oppression s’appuyant sur ces différentes caractéristiques sociales (Gascon, 2001). Cette approche en travail social demeure une référence pertinente permettant d’adopter une vision collective, de faire les « liens entre la socialisation, les choix réels de la personne compte tenu des biais sociaux à son égard et ses façons de penser, de sentir et d’agir » (Moreau, 1987, p.233). 
 
Une relation s’établit entre les difficultés personnelles, les structures sociales et l’idéologie capitaliste et patriarcale dominante; l’approche structurelle visera des changements autant au plan personnel et interpersonnel qu’au plan institutionnel et politique. Nous proposons une pratique sociale auprès des hommes favorisant le développement des liens avec soi-même, avec l’intervenant€, avec le réseau d’aide formelle, ainsi qu’avec les réseaux et les milieux sociaux. 
 

MERCREDI 5 MAI 2010 
LA FABRICATION DU MÂLE - 8e partie 
c) L’échec individualisé 
 
Une vision individualiste ne permet pas d’identifier les composantes sociales d’une difficulté. Ainsi, une intervention orientée uniquement vers une responsabilisation individuelle ne fait qu’accroître l’isolement et donne pour image que l’homme est le seul à ne pas réussir ce qu’il devrait normalement réaliser. L’échec devient individualisé; c’est l’individu qui ne fait pas assez d’effort, trop faible, trop sensible, trop fort, trop libre, il n’a pas assez fait, trop fait ou rien fait. C’est l’individu qui devient l’objet problématique. L’échec individualisé est un moyen puissant favorisant l’aliénation masculine et légitimant le mépris, l’humiliation et l’isolement. 
 
Les interventions qui blâment l’individu exclusivement, qui blâment les autres exclusivement et/ou qui blâment les autres exclusivement entraînent la culpabilisation et la dévalorisation individuelle (Moreau, 1982). La responsabilisation doit donc tenir compte à la fois des facteurs individuels, relationnels et sociaux et de l’autoaliénation comme de l’aliénation des autres. 
 
d) La valeur de l’homme en tant que commodité 
 
Une des tendances aliénantes de notre société consiste à établir la valeur d’un individu en fonction de son utilité : la production pour les hommes et la reproduction pour les femmes. Certaines interventions semblent avoir comme principal objectif de conditionner l’homme à tenir un rôle moins nuisible pour son entourage, en l’amenant à être un agent de support ou de développement pour ses proches ou, encore, en redevenant rapidement un objet productif dans l’organisation du travail. 
 
« On devrait faire comprendre aux hommes qu’en se suicidant, ils mettent leur famille dans le trouble ». L’appel au père responsable est une des versions les plus répandues de la considération des hommes en tant que commodité. En périnatalité, le père peut être amené, par exemple, à être supportant pour sa conjointe avec peu d’égard pour ce qu’il vit comme bouleversements et questionnements à l’approche de la paternité. Une fois père, il sera l’objet d’intervention afin de favoriser le développement de ses enfants. Il pourra également recevoir des services en violence dans un secteur où l’objectif principal est l’élimination de la violence faite aux femmes et aux enfants et la prévention de la transmission intergénérationnelle de la violence. Ces interventions, par ailleurs pertinentes, ciblent toujours et uniquement le développement et la sécurité des proches des hommes ou la réduction de « coûts sociaux » en oubliant au détour le principal intéressé. 
 
Un des pièges de l’intervention auprès des hommes est donc de leur apporter une aide qui valide involontairement qu’ils se doivent de redevenir un objet utile ou les contraignent à se dissocier pour le devenir davantage. 
 

Publié par Eddy J. Constant Pierre à 14:57 Aucun commentaire: Liens vers cet article  
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