.
.

Immigration.  

MERCREDI 8 SEPTEMBRE 2010 

 IDENTITÉS CULTURELLES - 5e partie 

DIALOGUE 
 
L David : Vos écrits passionnants m’ont toujours plu, ils sont d’actualité et m’aident à vivre. Aussi, je vais essayer de profiter de votre expérience pour vos poser quelques questions : 
 
Tout comme vos confrères ethnoculturelles, vous avez souvent rappelé que les zones aveugles de la culture québécoise nous empêchent de comprendre la culture de l’autre. Quels seraient ces zones aveugles? 
 
Pierre E Constant : Celle qui m’apparaît primordiale, c’est la difficulté de prendre conscience de notre ethnocentrisme. 
 
L David : C'est-à-dire la tendance à présumer que l’autre est comme soi? 
 
Pierre E Constant : Tout à fait si l’autre n’est pas comme moi, c’est qu’il lui manque quelque chose et ce quelque chose il a intérêt à l’adopter au plus vite…c’est lui qui n’est pas correct. Cela peut se traduire de manière particulièrement éloquente dans la notion qu’on se fait du corps dans une culture donnée. Ainsi, du pont de vue de ma culture d’origine, on a l’impression que la culture nord-américaine souffre d’un « blocage négation » dans ses rapports au corps énergétique par exemple. Mais il y a aussi certains aspects troublants de « votre » réalité qu’un regard transculturel aiderait à éclairer : la phobie de la mort (qui nous coûte une fortune) l’approche de suicide, la violence indicible des rapports mère-fille, les rapports famille-société, le contexte particulier de l’inceste et des abus sexuels, le détournement de la pulsion artistique etc. 
 
L David : Vous parlez de la convivialité un peu comme d’un remède à l’ethnocentrisme d’un mode d’enrichissement mutuel. 
 
Pierre E Constant : En effet, si nous sommes réunis autour de la même table à partager le même repas, l’immigrant y transmettra sa ressemblance et sa différence…. 
 
L David : Mais certains pourront se dire de façon primaire « je ne l’ai pas invité, je ne suis pas allé le chercher, qu’il s’adapte! » 
 
Pierre E Constant : C’est exact. Mais là aussi il est urgent que média et hommes politiques soient honnêtes et « systémiques »…Cessons de nous raconter des balivernes : s’il est vrai que le Canada et le Québec sont exceptionnellement généreux envers les réfugiés, il n’en demeure pas moins que la vérité pure et dure de l’immigration est que nous écrémons les jeunes élites des pays en voie de développement pour qu’elles payent nos pensions de vieillesse – surtout depuis que nous sommes devenus incapables de nous reproduire nous-mêmes…cela les médias ne le disent pas! Pas plus d’ailleurs qu’ils n’indiquent que l’état des « pays sous-développés » « est lié » à un ordre mondial dont les pays riches tirent les ficelles. 
 
MARDI 7 SEPTEMBRE 2010 
IDENTITÉS CULTURELLES - 4e partie 
UN PACTE CIVIQUE 
 
Pour la directrice du CRIEC, le grand défi en matière d’intégration consiste à promouvoir un pacte civique commun à tous, fondé sur un socle de principes et de valeurs politiques fondamentaux auxquels les citoyens seraient invités à adhérer, en dépit de leurs différences : la laïcité, le français langue officielle, la résolution pacifique des conflits, le pluralisme, l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect des droits fondamentaux de la personne, ainsi que celui des droits des autochtones et de la minorité anglophone « Aucun accommodement ne devrait aller à l’encontre de ces valeurs. Et c’est autour d’elles que peuvent se rassembler des gens ayant une histoire et une culture différentes. » 
 
L’ouverture au pluralisme peut se concilier avec la volonté d’affirmation culturelle et politique de la majorité franco-québécoise, affirme Éric Bédard, professeur d’histoire à la TÉLUQ. Mais les Québécois doivent mieux expliquer aux nouveaux arrivants qui ils sont, précise-t-il. « Le message est souvent confus. On sabre dans les programmes de francisation, on crée un nouveau programme d’enseignement de l’histoire au secondaire qui insiste davantage sur l’histoire de la modernité occidentale que sur le récit national des Canadiens français. Ce n’est pas ainsi que l’on fera connaître aux néo-Québécois les grandes particularités de la société d’accueil, soit son histoire, sa culture et sa langue. » 
 
Selon Jacques Beauchemin, si les Québécois doivent s’ouvrir au pluralisme, ils doivent aussi s’assumer, sans mauvaise conscience, et reconnaître dans leur histoire un parcours singulier et inachevé. « L’histoire est comme un train en marche et permet à ceux qui le veulent d’y monter depuis la gare de leur choix, avec leurs différences et leurs convictions. Il est parfaitement possible pour un Québécois qui n’est pas de souche canadienne-française de s’associer à l’histoire québécoise, il pourra notamment y reconnaître un parcours qui, sans être le sien propre, évoque celui de tous les peuples minoritaires animés du désir de durer dans l’histoire. » 
 
Le combat pour assurer la pérennité d’une société francophone en Amérique du Nord, le mouvement inachevé vers la sécularisation, le développement d’un projet politique national reposant sur une volonté d’autonomie ou d’indépendance…tous ces traits font partie de l’identité québécoise, note Micheline Labelle. Avec son collègue Éric Bédard, elle croit qu’un débat sur un éventuel projet de constitution québécoise, charte du vivre-ensemble, permettrait de rappeler ces particularités et de définir les valeurs collectives que le Québec veut se donner. 
 
« Que partagent les Québécois et les immigrants? Se demande Agusti Nicolau Coll. La Charte des droits et des libertés, c’est l’apéro, car un peuple n’est pas qu’une addition de droits individuels, dit-il. Il faut aussi le plat de résistance, soit la mémoire et la culture qui sont portées par chacun d’entre nous. Moi, j’ai commencé à comprendre ce qu’est le Québec en lisant la poésie de Gaston Miron. » 
 
« L’histoire est comme un train en marche et permet à ceux qui le veulent d’y monter depuis la garde de leur choix, avec leurs différences et leurs 
convictions. Il est parfaitement possible pour un Québécois qui n’est pas de souche canadienne-française de s’associer à l’histoire québécoise. Il pourra notamment y reconnaître un parcours qui, sans être le sien propre, évoque celui de tous les peuples minoritaires animés du désir de durer dans l’histoire. » - Jacques Beauchemin, professeur au Département de sociologie. 
 
LUNDI 6 SEPTEMBRE 2010 
IDENTITÉS CULTURELLES - 3e partie 
Pour Yolande Geadah, deux pièges sont à éviter : le racisme (« Les immigrants sont tous pareils ») et le relativisme culturel (« satisfaire toutes leurs revendications pour ne pas les stigmatiser »). Elle estime que les Québécois ont le droit d’exprimer un malaise face à des revendications qui remettent en question des valeurs démocratiques, comme l’égalité entre les hommes et les femmes. « Pour protéger l’espace public de l’empiètement du religieux, il faut rejeter certaines demandes concernant le port de symboles religieux dans les institutions, affirme-t-elle. Il faut refuser la séparation des sexes dans l’espace public, l’aménagement de salles de prières dans les écoles et l’application de principes religieux au plan juridique comme c’est le cas dans les tribunaux islamiques. » 
 
Agusti Nicolau Coll est en faveur de la déconfessionnalisation des institutions, mais ne croit pas qu’il faille interdire pour autant toute manifestation du religieux dans l’espace public. « Pourquoi une dimension aussi importante que la religion devrait être confinée à la sphère privée? Dans une société pluri-religieuse, les institutions doivent s’adapter à la diversité tout en assurant que certaines demandes d’accommodements n’entravent pas leur fonctionnement », soutient-il. Instructeur d’une équipe de soccer dans ses temps libres, il n’interdirait pas à une joueuse musulmane de porter le foulard islamique si elle le désire. 
 
« Ce qui m’inquiète surtout, c’est moins le fait de permettre à des jeunes 
filles de porter le hidjab à l’école, par souci d’inclusion, que l’augmentation 
du nombre d’écoles confessionnelles privées financées par l’État, dit Micheline 
Labelle. Ces écoles sont passées d’une trentaine, il y a quelques années, à une 
soixantaine aujourd’hui. » 
 
 
VENDREDI 3 SEPTEMBRE 2010 
IDENTITÉS CULTURELLES - 2e partie 
UN SENTIMENT D’INSÉCURITÉ 
 
Sa collègue Micheline Labelle, directrice du Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC), n’est pas d’accord. Elle insiste sur le caractère émancipateur des revendications afro-américaines, du mouvement des femmes ou des peuples autochtones, qui reposent sur des valeurs universalistes de justice et d’égalité, et dénonce la montée, depuis une vingtaine d’années, d’une pensée conservatrice qui perçoit les revendications identitaires comme des facteurs de fragmentation sociale et politique. « Plus récemment, souligne la sociologue, les attentats du 11 septembre 2001 ont engendré un discours réducteur sur le choc des civilisations, contribué au durcissement des politiques d’immigration et alimenté un sentiment d’insécurité au sein de la population. » 
 
« Ce qui m’inquiète surtout, c’est moins le fait de permettre à des jeunes 
filles de porter le hidjab à l’école, par souci d’inclusion, que l’augmentation 
du nombre d’écoles confessionnelles privées financées par l’État. Ces écoles 
sont passées d’une trentaine, il y a quelques années, à une soixantaine 
aujourd’hui. » - Micheline Labelle, professeure au Département de sociologie et 
directrice du Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la 
citoyenneté » 
 
 
Mais comment expliquer que les Québécois francophones, en particulier, réagissent si vivement aux accommodements raisonnables? Selon Jacques Beauchemin, cette sensibilité exacerbée est liée à un sentiment de fragilité identitaire propre aux petites nations. « Bien que les Québécois francophones aient appris à s’affirmer depuis 40 ans, ils vivent encore une profonde insécurité, note-t-il. Un Américain ne se demande pas s’il pourra encore, dans 50 ans, parler anglais dans son pays, alors que de nombreux Québécois s’inquiètent pour la survie de la langue française. » 
 
Le fait que les Québécois forment une minorité au Canada et en Amérique du Nord contribue certainement à leur malaise identitaire, admet Micheline Labelle. « C’est le cas également d’autres populations minoritaires, tels les Catalans et les Irlandais qui doivent, eux aussi, intégrer de nouveaux arrivants tout en cherchant à préserver leur identité nationale. » 
 
D’origine égyptienne, la chercheuse Yolande Geadah, membre associée de l’institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM, vit au Québec depuis 40 ans. Oeuvrant dans le domaine du développement international et des relations interculturelles, elle est l’auteure d’un essai intitulé Accommodements raisonnables. Droit à la différence et non différence des droits, qui critique sévèrement cette notion juridique qualifiée de « logique individualiste des droits ». « Tout en visant l’inclusion restreinte des immigrants à court terme, on ignore les objectifs d’intégration à long terme », dit-elle, ajoutant que le gouvernement a le devoir de financer adéquatement des programmes qui facilitent l’intégration économique des nouveaux arrivants, condition importante pour éviter la ghettoïsation. 
 
JEUDI 2 SEPTEMBRE 2010 
IDENTITÉS CULTURELLES - 1e partie 
LE CHOC DES IDENTITÉS 
 
C’est quoi pour vous? 
 
On pouvait lire sous la plume de Claude Gauvreau que l’intégration des immigrants, relations interculturelles, identité québécoise, laïcité…autant de sujets qui soulèvent les passions depuis le débat déclenché il y a un an par la question des accommodements raisonnables. Quels rapports établir entre la majorité francophone et les minorités ethnoculturelles et religieuses? Comment concilier le respect des différences et la préservation de valeurs communes? Comment s’ouvrir à l’autre sans se renier soi-même? 
 
Ces questions, sur lesquelles ont pu se pencher la Commission présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor, surgissent dans une société de plus en plus confrontée au pluralisme des identités. Sur les 42,000 nouveaux immigrants que le Québec accueille en moyenne chaque année, la majorité provient de l’Afrique et de l’Asie et non plus de l’Europe, culturellement plus proche de nous. Mais le choc des identités auquel on a assisté depuis quelques mois est également le reflet d’un contexte politique favorable à l’expression des différences. 
 
« Depuis les années 60 et 70, l’espace politique en Occident s’est reconfiguré autour des revendications identitaires », affirme le professeur de sociologie Jacques Beauchemin. Après les luttes menées par les Noirs américains et par le mouvement des femmes pour l’égalité sociale et sexuelle, on a vu, dit-il, se multiplier les groupes exigeant le respect de leur différence : jeunes, homosexuels, membres de minorités ethniques ou religieuses. Or, une société qui se définit uniquement dans la diversité, sans lieu de rassemblement, peut difficilement porter un projet d’avenir. « La reconnaissance élargie des droits de chacun est devenue le seul projet que poursuivent les sociétés multiculturelles comme le Canada et le Québec », déplore Jacques Beauchemin. 
« Le message est souvent confus. On sabre dans les programmes de 
francisation, on crée un nouveau programme d’enseignement de l’histoire au secondaire qui insiste davantage sur l’histoire de la modernité occidentale que sur le récit national des Canadiens français. Ce n’est pas ainsi que l’on fera connaître aux néo-Québécois les grandes particularités de la société d’accueil, soit son histoire, sa culture et sa langue. » - Éric Bédard, professeur d’histoire à la TÉLUQ. 
 
 
 
MARDI 1 JUIN 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 7e partie 
Conclusion 
 
Loin de constituer une analyse exhaustive de la condition des hommes immigrants, Stéphane Hernandez présente quatre facteurs de vulnérabilité majeurs permettant de mieux comprendre leurs réalités lorsqu’ils viennent s’établir avec leur famille au Québec. En servant de guide à l’intervention, ces quatre points de repère peuvent outiller les intervenant(e)s qui travaillent avec les personnes provenant d’autres cultures. Néanmoins, ils ne s’adressent pas uniquement à l’intervention directe auprès des clientèles masculines immigrantes. L’homme immigrant étant le plus souvent considéré par sa famille comme le chef, l’intervention auprès des familles immigrante ne peut faire l’économie de se passer du père. En dépit d’une évidente nécessité d’effectuer des études qualitatives plus systématiques en ce qui concerne le point de vue et l’expérience intime des hommes immigrants, de la transformation des rôles familiaux en lien avec la migration, nous pouvons déjà dégager quelques pistes d’intervention : 
 
Dans tout type d’intervention qui s’adresse aux familles immigrantes, considérer et tenter d’impliquer l’homme-chef de famille. Observer les processus de changements de rôles qui affectent les dynamiques familiales, ainsi que les stratégies utilisées par chacun des membres. Puis, les accompagner – en faisant abstraction de toute norme implicite – dans leur négociation de nouveaux rôles plus adaptés aux nouveaux contextes socioéconomique et socioculturel. Favoriser un climat propice aux échanges; utiliser l’approche systémique ouvrant sur le dialogue; intégrer, s’il y a lieu, les membres de la famille élargie, du réseau de voisinage et de la communauté ethnoculturelle. Reconnaître un certain pouvoir à l’homme dans sa famille, mais moins en tant que force coercitive qu’en tant que force mobilisatrice et constructive. 
 
En approche clinique, partir d’où sont rendus les hommes immigrants dans leur remise en question, en lien avec leur milieu familial; reconnaître les affects négatifs liés aux différentes pertes de statut qu’ils vivent au cours du processus migratoire; les aider à cheminer dans le nouveau contexte socioculturel en tenant compte de leurs résistances avec un maximum de respect, d’ouverture et de flexibilité; les encourager à faire apprécier à leurs enfants leurs valeurs et leur fierté culturelles, tout en les amenant à s’ouvrir davantage à la culture québécoise. 
 
Organiser des activités de prévention avec les pères immigrants pour valoriser leur rôles dans la société (aide reliée à l’emploi, projets collectifs, groupes d’entraide, jumelage…) et dans leur famille (trouver de bonnes manières d’exercer leur autorité). 
 
Sensibiliser avec tact les familles immigrantes sur la réalité des jeunes québécois, sur les valeurs liées à l’éducation et sur le rôle du père tel qu’il est valorisé au Québec. 
 
Pour la plupart de ces hommes qui ont décidé – ou on été contraints – d’abandonner leurs pays d’origine pour s’établir avec leur famille au Québec, l’immigration rime avec une multiple perte de statuts qui se traduit par des difficultés d’accès à l’espace socio-économique et la remise en question de l’autorité et du maintien d’une rigueur morale au sein de leur propre famille. On réalise encore à peine la complexité du processus qu’ils doivent vivre pour ajuster leurs repères symboliques et leur identité masculine à cette véritable révolution des mœurs qui s’est étalée au Québec sur plusieurs générations. Aux différents acteurs sociaux préoccupés par l’adaptation/intégration, les dynamiques interpersonnelles conflictuelles et la violence familiale vécues au sein des familles immigrantes, il est essentiel de tenir compte du père, de son état de vulnérabilité et de son étape de cheminement. 
 
LUNDI 31 MAI 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 6e partie 
L’accès des enfants à un univers culturel différent 
 
Dans les familles immigrantes, l’écart intergénérationnel est particulièrement important puisqu’il se double d’un conflit culturel, l’acculturation étant vécue à des rythmes différents par les uns et par les autres (Bibeau et al.). D’un côté, les parents tentent de communiquer à leurs descendants certains principes, attitudes, valeurs et croyances culturelles qu’ils jugent important de transmettre tout en étant eux-mêmes soumis à un processus d’acculturation. De l’autre côté, les enfants, s’imprègnent des valeurs québécoises à l’école puis, de retour à la maison, s’indignent devant certaines traditions qu’ils jugent trop exigeantes ou carrément désuètes. Cependant, si les études reliées à ce champ se centrent beaucoup sur l’expérience de la biculturalité des enfants et des adolescents (Tap et Kerbel; Malewska-Peyre et al.), il en existe peu qui accordent une place spéciale au vécu des pères. 
 
Pourtant, les pères immigrants ont des préoccupations très grandes et bien particulières pour leurs enfants. Nous parlons ici non plus du sentiment d’être père, d’incarner l’autorité dans la famille, lequel est déjà malmené par la situation d’immigration. Il s’agit cette fois du sentiment impérieux, du désir intense de transmettre l’héritage culturel des ancêtres à sa descendance (dont notamment les préceptes culturels à la base de la différenciation des rôles selon le genre) ou, dit autrement, de la crainte que des siècles d’évolution sociale et culturelle ne s’évanouissent en seulement deux ou trois générations. Or, peu à peu, alors que les enfants grandissent, les parents réalisent que le succès du projet migratoire comporte un prix amer : « Dans le regard de ses enfants, l’immigrant lit le déclin prochain de tout un monde qu’il a eu tant de peine à défendre et à maintenir » (Abou). 
 
Au cours de l’activité de groupe effectuée avec les jeunes pères immigrants (précédemment citée), le thème des relations parents/enfants était celui qui revenait le plus souvent dans les discussions. Ces hommes qui se souvenaient sans rancune des fessées « méritées » pour avoir désobéi à leur père ou à leur mère quand ils étaient jeunes, qui se rappelaient du respect inconditionnel qu’ils vouaient aux figures d’autorité (parents, professeurs, aînés), ces hommes, aujourd’hui, en Amérique du Nord, sont les témoins horrifiés de jeunes qui résistent à l’autorité des adultes, qui s’adonnent à certains comportements leur paraissant abusifs (drogue, expériences sexuelles précoces, délinquance, itinérance, suicide), bref qui leur semblent laissés à eux-mêmes et soumis à aucune discipline. Ces impressions – parfois faussement exagérées – ont un impact considérable sur certains hommes immigrants portés à croire que leurs jeunes feraient de même si on les laissait s’intégrer au pays (Bibeau et al.); ils sentent que la prédominance des valeurs de liberté et d’autonomie individuelle propres aux sociétés modernes peuvent conduire vers des dérapages (négligence parentale, promiscuité sexuelle, désinvestissement familial, arrogance envers les parents) en accordant un pouvoir démesuré aux mineurs. Qui plus est, l’importance accordée à la négociation et au respect inconditionnel de l’enfant ainsi que l’interdiction stricte de la punition corporelle qui prévalent au Québec, peuvent être perçues par certains pères immigrants comme une interdiction pour eux d’éduquer leurs propres fils et filles avec les seuls moyens qu’ils connaissent (Scandariato); ils craignent alors amèrement de perdre progressivement et totalement l’emprise qu’ils ont sur eux. Cette réalité leur est d’autant plus navrante que ces derniers sont souvent considérés comme les véritables symboles du projet migratoire. En effet, les immigrants n’affirment-ils pas avoir pris la décision de partir pour l’avenir des enfants? Les sentiments et les attitudes des pères immigrants à l’égard de leurs enfants sont alors parfois teintés d’une ambivalence qui peut être difficile à gérer dans le quotidien et conduire, là encore, à certains débordements. 
 
 
SAMEDI 29 MAI 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 5e partie 
La remise en question du pouvoir et de l’exercice de l’autorité du père 
 
L’une des seules choses qui reste à l’homme immigrant après s’être arraché à sa terre nourricière, après avoir abandonné son emploi, son statut, ses repères, ses liens les plus significatifs avec son milieu d’origine, c’est l’impérieuse responsabilité qu’il assume à l’égard des membres de sa famille partis avec lui, et qui est ravivée dans une période de bouleversement intense. C’est son autorité légitime et instituée auprès d’eux, inscrite profondément dans sa culture et son identité, à laquelle est rattaché son sentiment de dignité. Or le nouveau contexte social, économique et culturel vient remettre peu à peu en question ces prérogatives ainsi que leur reconnaissance par les autres membres de sa famille. 
 
Une étude montréalaise basée sur des exemples cliniques (Scandariato) décrit les caractéristiques importantes liées à la fragilisation de la fonction paternelle en contexte migratoire. D’abord, le père n’est plus l’intermédiaire entre sa famille et l’environnement. Ce sont plutôt les enfants qui vont assumer ce rôle, étant plus rapidement acculturés que leurs parents et maîtrisant souvent beaucoup mieux la langue du pays d’accueil. De plus, n’étant souvent plus le seul à travailler, il ne peut plus assumer à lui seul le rôle de pourvoyeur au sein de sa famille. En outre, alors que le père devrait être « la pierre angulaire des identifications » en intégrant sa descendance dans une généalogie et un système d’appartenance, il se trouve dans un nouveau pays, privé de son réseau social d’origine et où l’identité familiale n’est plus inscrite dans le patrimoine historique. Enfin, la société québécoise, basée sur des principes d’égalité et d’autonomie individuelle, remet souvent en question son autorité et certains de ses comportements à l’égard des autres membres de sa famille, jugés trop sévères ou coercitifs. Les normes québécoises en matière d’éducation des enfants soulignent l’interdiction de toute forme de correction physique et autorisent un interventionnisme étatique qui peut aller jusqu’à séparer les familles lorsqu’il y a des abus, ce qui donne à certains hommes immigrants le sentiment d’être limités ou même bafoués dans l’exercice de leur autorité parentale. Ils sont alors tentés de démissionner de leur rôle de parents-éducateurs. 
 
D’autres études ont aussi relevé des indices de cet établissement du rôle du père au sein de certaines familles immigrantes (Schnapper; Bibeau et al.). Pour sa part, Hammouche s’est intéressé à l’effet de la nucléarisation de la famille maghrébine immigrée en France sur la gestion de l’autorité paternelle. Privé de la société traditionnelle patriarcale du milieu rural d’origine, le rôle du chef de famille n’est plus aussi manifeste; le père n’est plus a priori l’intermédiaire entre sa famille et l’environnement. Alors qu’auparavant, les règles qui régissent les statuts, les rôles et les rapports entre les différents membres de la famille, étaient bien définies, solidement instituées et rarement remises en question, celles-ci deviennent subitement sujettes à la justification – les nouvelles structures sociales ne les autorisant plus explicitement, les décourageant parfois. Sans période de transition, les positions de chacun dans l’organisation familiale s’improvisent et se renégocient au gré des nouvelles contingences sociales et économiques. Au sein d’une société moderne où les liens familiaux sont désacralisés et où l’accent est mis sur l’individu et sa liberté de choix, le rôle traditionnel de chef de famille est considéré comme un frein à l’épanouissement de la conjointe et des enfants. Hammouche soutient même que l’homme-mari- et père – étant souvent considéré comme le gardien de la tradition dans les communautés maghrébines immigrées en France, s’intégrer correspond alors pour les autres membres de la famille à se « libérer » de lui, voire à le considérer comme un enfant qui doit tout réapprendre. 
 
Cette dissolution brutale de la fonction paternelle s’accompagne aussi de gains pour les femmes qui consistent surtout en leur possibilité d’ascension socioéconomique et à l’existence de recours légaux et communautaires dans la société québécoise. Cela se traduit par une transformation des rapports de pouvoir au sein du couple, ce qui provoque, chez beaucoup d’hommes immigrants, le douloureux sentiment d’avoir perdu leur statut au sein de leur propre famille (Bibeau et al.). 
 
Lors de l’activité de groupe effectuée avec les pères immigrants de Côte-des-Neiges (ci-haut mentionnée), cette question de la perte de l’autorité masculine a surgi spontanément dans les échanges. Ces hommes tentent de comprendre et de s’ajuster aux nouvelles réalités. Ils restent néanmoins déchirés entre deux désirs : celui de s’insérer avec succès dans la nouvelle société – ce dont dépend, le plus souvent, le succès du projet migratoire – et celui, non moins intense, de conserver continuité, sens et dignité dans leur rôle. Dans leurs discours mêlés de contradictions, ils disent accepter certains efforts et sacrifices au nom du projet familial, au nom de l’amour porté à leur conjointe et à leurs enfants pour lesquels ils ont émigré. Mais on sent dans le même élan qu’ils sont touchés dans leur identité profonde, dans leur estime d’eux-mêmes, un peu comme s’ils avaient l’impression de perdre l’emprise sur leur propre famille, de ne pas être en mesure d’accomplir leur rôle, de ne pas se conformer aux préceptes implicites du noyau dur de leur culture. Peut-être sentent-ils qu’ils sont en train de perdre la seule source de gratification, la seule promesse de dignité qu’il leur reste depuis leur arrivée au pays? Ou encore qu’ils perdent la face devant leur communauté d’origine, devant leurs ancêtres défunts? 
 
La résolution de ce conflit intérieur ne se fait pas en ligne droite mais plutôt en spirale et s’accompagne le plus souvent de crises répétées, de résistances diverses et de retours en arrière vers une recherche constante d’équilibre. De ce point de vue, ces derniers éléments ne doivent pas être considérés comme des signes d’une mauvaise adaptation ou comme un refus systématique des valeurs de la société d’accueil, mais plutôt comme des étapes normales d’un processus lent et complexe menant vers une stabilisation nouvelle, fonctionnelle et dynamique (Barudy) comme « des projections vers l’avenir d’une autonomie à la fois retrouvée et renouvelée » (De Rudder et Giraud). Toutefois, il est clair que ce chemin difficile peut parfois déraper vers toutes sortes de débordements et menacer grandement l’unité familiale et le bien-être de chacun des membres. Parfois, le couple ne parvient pas à développer de nouvelles formes de communication et à négocier de nouveaux rôles et de nouvelles responsabilités; chacun se rebiffe et durcit ses attitudes; les frustrations s’accumulent; les tensions et les conflits familiaux naissent, s’organisent et, sans l’intervention régulatrice du réseau familial ou de voisinage, explosent en violence conjugale et familiale ou en destruction de l’unité familiale (Juteau; Bibeau et al.,). À partir de là, un constat s’impose : les crises susceptibles de mettre en péril l’équilibre de ces familles en processus de renégociation des rôles doivent être endiguées et, pour cela, les membres les plus influents ont un grand besoin d’être accompagnés. 
 
VENDREDI 28 MAI 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 4e partie 
L’accroissement des demandes lié à la diminution du réseau social de la conjointe. 
 
Comme nous l’avons vu plus tôt, les responsabilités familiales des hommes issus de sociétés patriarcales les amènent à travailler à l’extérieur du foyer, tandis que les femmes sont davantage confinées à des tâches dirigées vers l’intérieur du foyer (effectuer les travaux ménagers, veiller au bien-être affectif des enfants). Néanmoins, celles-ci au pays d’origine, bénéficient de tout un réseau d’entraide qui va souvent bien au-delà de la famille élargie (Duval; Battaglini). Ainsi, la communauté fait en sorte que, si les femmes restent souvent à la maison, elles ne souffrent jamais d’isolement. 
 
Dans le pays d’accueil, ces réseaux diminuent considérablement. Une étude exploratoire de Battaglini effectuée auprès de mères immigrantes en période périnatale révèle que, au-delà des origines ethniques spécifiques, l’isolement représente un élément majeur de leur expérience migratoire étant donné la taille relativement faible des réseaux familial et social et leur faible niveau de fréquentation. Ainsi, le rôle de pourvoyeur de l’homme immigrant devient non seulement déficient mais insuffisant, du moins dans les moments de crise comme lors de la venue d’un nouvel enfant : il est incité à une plus grande implication à l’intérieur de sa cellule familiale. En fait, la majorité des mères interrogées dans l’étude de Battaglini reconnaissent que leur mari s’implique davantage à la maison – autant auprès d’elles qu’auprès du bébé - , et ce, pour deux types de raisons majeures. D’abord, alors que dans le pays d’origine, la présence constante de la famille élargie autorisait le père à se consacrer exclusivement à d’autres types de responsabilités, l’immigration amène celui-ci à suppléer au soutien qu’aurait procuré le réseau naturel (en termes d’implication parentale mais aussi en termes d’échanges, d’entraide et de soutien moral et affectif à sa conjointe). Le contexte culturel québécois valorise aussi beaucoup l’implication du père alors que, dans le pays d’origine, elle y était souvent mal perçue, voire raillée, étant donné la division des rôles selon le genre, laquelle est bien ancrée dans les mentalités et les modes de vie. L’étude de Battaglini est très intéressante dans la mesure où elle montre que même si les hommes restent encore attachés à de fortes conceptions culturelles liées à leur rôle, il reste que les circonstances migratoires altèrent la complémentarité des rôles dans la famille et induisent chez eux un rapprochement (quoique limité) et un ajustement de leurs comportements auprès de leur conjointe et de leur(s) enfant(s). 
 
Ce rapprochement assez soudain de l’homme immigrant au sein de sa famille est salutaire dans la mesure où la mère se retrouve moins seule dans une période particulièrement difficile. Cependant, il s’accompagne souvent de complication dont les effets sur les pères sont encore très peu connus. Par exemple, l’étude exploratoire de Dyke et Saucier (2000) portant sur la paternité en situation d’immigration, révèle que la redéfinition des rôles liée à la migration semble entraîner ou amplifier, chez les pères immigrants de certaines communautés culturelles, une difficulté à s’identifier à un modèle positif réel de père. Ensuite, le repartage de certaines tâches à l’intérieur du nid familial implique une négociation à laquelle les hommes immigrants sont peut préparés, négociation qui peut être vécue avec beaucoup de résistance et qui peut occasionner parfois des tensions risquant d’aboutir à de la violence conjugale (Bibeau et al.). Enfin, les pères immigrants semblent être pris dans une double contrainte entre, d’une part, assumer leurs responsabilités de répondre aux besoins économiques et matériels de la famille (travail, études, dans un contexte économique semé d’embûches). Bien sûr, ce facteur de vulnérabilité appartient souvent bien davantage à la mère qu’au père, laquelle peut être contrainte de travailler aussi, s’il y a nécessité d’un double salaire pour assurer le bien-être de la maisonnée. Cependant, on connaît mal la perception des hommes et leurs réactions face à cet accroissement de demandes. Jusqu’à présent, les recherches consacrées à l’impact de l’immigration sur les dynamiques familiales sont restées assez silencieuses sur ces questions. 
 
JEUDI 27 MAI 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 3e partie 
La baisse significative du statut socioéconomique du chef de famille 
 
Les hommes immigrants arrivent au Québec souvent très éduqués. Ceci est vrai autant pour les immigrants de la catégorie « indépendants économiques » que pour les réfugiés (Renaud et Gingras). En fonction de leur âge, ils sont aussi forts d’une expérience de travail et/ou d’une expertise professionnelle. Lorsqu’ils immigrent au Québec, ils se buttent à toutes sortes de barrières qui se posent comme autant d’entraves à l’accomplissement de leur rôle de pourvoyeur économique. La conjoncture économique déjà difficile s’accompagne d’une série de mécanismes d’exclusion qui touchent plus spécifiquement les néo-québécois et limitent beaucoup leur accès à un emploi correspondant à leurs capacités : barrières linguistiques, non-reconnaissance des acquis, exigence d’une expérience canadienne, protectionnisme corporatiste, contingentement professionnel, racisme et discrimination (Langlais et al.; Drudy; Renaud et al, 2001). L’étude de Renaud et al. (2001), qui suit sur dix ans une cohorte d’immigrants admis au Québec révèle que l’insertion dans l’emploi dans les deux ou trois premières années suivant leur arrivée est marquée d’une manière générale par une plus grande instabilité et une rémunération moins élevée, comparativement aux années subséquentes. Du surcroît, après trois années d’établissement en sol québécois, près de la moitié des travailleurs immigrants (eu égard au sexe) affirment avoir un emploi moins qualifié que celui qu’ils occupaient avant leur migration quoique sept ans plus tard, cette proportion n’atteint pas les 30%. Les « immigrants indépendants » sont d’autant plus déçus que c’est justement parce qu’ils répondaient aux critères d’une insertion rapide sur le marché de l’emploi qu’ils ont été choisis par le gouvernement québécois. 
 
Ces multiples obstacles limitant l’accès à l’emploi signifient surtout, pour le chef d’une famille immigrante, une impossibilité de faire vivre convenablement ses membres. Pour celui dont les plus grandes aspirations sont « assurer le bien-être de (sa) famille et profiter des mêmes possibilités que les Canadiens de souche » (Bibeau et al.), cette situation peut affecter profondément son identité personnelle et sociale, son estime de soi, voire son équilibre mental (Beiser et al.; Austin et Este). Même s’il travaille et comble assez bien les besoins de ceux qui dépendent de sa responsabilité, lors des toutes premières années de son installation, il est parfois contraint d’étudier tout en occupant un emploi afin d’apprendre le français ou d’obtenir les équivalences de ses diplômes. Ou encore, il doit cumuler plusieurs emplois faiblement rémunérés pour lesquels il est surqualifié (souvent dans les secteurs les plus mous de l’activité économique), ce qu’il peut vivre de manière très humiliante (Bibeau et al.). Ses nombreux engagements pour subvenir aux besoins de sa famille ne lui permettent pas toujours de consacrer assez de temps à sa conjointe et à ses enfants (Battaglini; Dyke et Saucier). Alors peuvent s’accumuler frustrations, déceptions, angoisse, insécurité, culpabilisation, qui risquent de fragiliser non seulement les hommes mais aussi l’équilibre de toute leur famille. 
 
Cette perte de statut économique s’accompagne souvent d’une perte du statut social. Alors que dans son milieu d’origine, l’immigrant avait développé de multiples appartenances et divers liens de sociabilité en fonction de ses diverses relations sociales et professionnelles, il se retrouve, dans le nouveau pays, porter d’une identité qui ne fait plus écho chez ceux qui l’entourent. Même s’il ressent parfois le poids d’une non-reconnaissance ou d’un rejet de la société d’accueil (Abou; Langlais), il doit travailler à développer un sentiment d’appartenance et d’utilité dans ce pays où il désire s’établir. Sans l’établissement de ce lien social vital, les relations familiales risquent de s’en ressentir fortement : 
 
« Le sentiment d’exclusion, c’est-à-dire de ne pas pouvoir prendre place dans la société, de ne pas y participer à la hauteur de son propre potentiel, est vécu par plusieurs hommes qui ont autant de malaise à trouver une place satisfaisante dans la famille. Il semblerait que moins un homme se sent intégré dans la société, plus il a de difficulté à trouver une place dans sa famille. » (Dyke et Saucier). 
 
 
MERCREDI 26 MAI 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 2e partie 
La remise en question du rôle de pourvoyeur 
 
La place qu’un homme occupe au sein de sa famille et dans la société est définie culturellement sous la forme de rôles sociaux. Selon le sociologue Guy Rocher, le rôle social consiste en « l’ensemble des manières d’agir qui, dans une société donnée, sont censées caractériser la conduite des personnes dans l’exercice d’une fonction particulière » (Rocher, 1969, p.50). Dans le cas de la famille, les membres qui la composent sont tenus d’obéir à des attentes et à des modèles précis qui définissent leurs actions conformément à la position qu’ils occupent (époux/se, père/mère, fils/fille, chef de famille). Cet ensemble de comportements et d’attitudes est en fait une adaptation à des conditions reliées au passé de la société en question (son histoire, son patrimoine culturel) mais aussi aux conjonctures d’un présent en perpétuel changement. Dans cette partie, nous tenterons de comparer les représentations des rôles familiaux masculins en vigueur actuellement dans la société québécoise avec celles par lesquelles la plupart des hommes immigrants ont été socialisés. 
 
Ce n’est que depuis deux ou trois générations que la famille québécoise n’est plus normalisée sous le modèle traditionnel-conservateur (l’homme pourvoyeur/la femme confinée à l’espace domestique). Les divers changements sociaux du 20e siècle liés à une industrialisation massive, mais surtout l’influence des mouvements sociaux des années 1960 inspirés par un idéal de liberté et par la révolte contre le joug des normes sociales institutionnalisées – incarnées par l’autorité du père - , ont mené vers un effritement de la fonction paternelle et un repositionnement des rôles dans la famille québécoise (Dulac, 1997). Aujourd’hui, le rôle du père dans sa famille et dans la société se reconstruit à partir de nouvelles valeurs mais aussi de nouvelles réalités sociales et économiques : accès des femmes au marché du travail, désacralisation du lien marital, augmentation de la monoparentalité au féminin, chômage. Insécurité salariale, nécessité du double salaire pour le plus en plus de ménages…Ces diverses transformations sociales, économiques et culturelles ont eu pour conséquence une profonde modification des représentations des rôles familiaux en Amérique du Nord dans les dernières décennies, dans le sens d’une moins grande différenciation des rôles sexuels et des rôles économiquement partagés pour l’homme et pour la femme (Wilkie, 1993). Ainsi, La famille patriarcale s’est substituée assez rapidement à DES familles conjugales où les rapports de couple sont caractérisés par l’égalité, par la négociation et par une répartition plus équitable des tâches domestiques, des responsabilités parentales et de l’autorité. Les discours scientifiques et politiques actuels valorisent, chez l’homme, son implication dans les soins et dans l’éducation des enfants, tout en dénonçant le père absent et passif ainsi que le père strictement pourvoyeur, éloigné ou distant de ses enfants (Dulac, 1997). 
 
C’est dans ce contexte particulier qu’arrivent les familles immigrantes issues de sociétés non occidentales, dont une part importante est régie par un système de droits et d’obligations sociales ordonnant les statuts et les rôles en fonction de l’âge et du sexe de chacun (Cohen-Emerique, 1990). Selon McGoldrick et al. (1996), chez les peuples originaires d’Asie, D’Afrique et d’Amérique latine, d’où proviennent 72% des nouveaux arrivants reçus au Québec entre les années 1996 et 2000 sur un total de 145 619 -, le patriarcat participe profondément des conduites sociales selon le genre, notamment dans le cercle intime de la cellule familiale. En général, l’homme-chef de famille est considéré comme le pourvoyeur économique et le principal garant de l’ordre moral, de l’autorité et de la sécurité dans la famille. La femme, quant à elle, a la responsabilité des tâches domestiques et du bien-être des enfants en veillant à leurs besoins de base et à leurs besoins affectifs. Cette différenciation des rôles est remise en question par la situation d’immigration vécue par les immigrants comme une transition écologique, dès lors que les conditions physiques, sociales et culturelles qui ont permis leur structuration laissent la place à d’autres (Sabatier, 1991). Une étude de Haddad et Lam (1988) effectuée auprès de 117 pères immigrants canadiens révèle qu’une proportion de seulement 12% restent réfractaires aux changements de rôles et désirent conserver intactes les structures sociales dans leur famille. Néanmoins, pour les autres, les ajustements sont dus surtout au changement des contextes socioéconomique et socio-culturel et ne s’accompagnent pas nécessairement d’un changement au plan des mentalités. Cette transformation des rôles familiaux est donc le produit de circonstances migratoires qui doivent être aussi comprises comme autant de facteurs de fragilisation pour l’homme immigrant au sein de sa famille : la baisse significative de son statut socioéconomique, l’accroissement des demandes lié à la diminution du réseau social de sa conjointe, la remise en question de son pouvoir et de l’exercice de son autorité et l’accès de ses enfants à un univers culturel différent. 
 
MARDI 25 MAI 2010 
L'HOMME IMMIGRANT - 1e partie 
Si, depuis quelques années, un champ de recherche s’est ouvert pour aborder l’homme en tant qu’être potentiellement vulnérable ayant besoin de soutien et de services spécifiques (Dulac, 2001), la question de l’homme immigrant demeure entière. Les connaissances disponibles sur ce sujet proviennent en grande partie des travaux de recherche effectués dans le domaine de l’impact de l’immigration sur les dynamiques familiales. Or, lorsque la question du genre est introduite en ce qui concerne, notamment, la réorganisation et les relations familiales, ce sont surtout les points de vue de l’épouse, de la mère ou des enfants qui sont pris en compte, dans la perspective de leur émancipation individuelle (Labelle et al., 1987; Juteau, 1991; Legault, 1993). Ces études ont l’avantage de nous renseigner sur la modification partielle des rôles et du partage des tâches au sein des ménages immigrants, ce qui nous aide à mieux comprendre les conflits qui peuvent y survenir. Cependant, il est surprenant de constater la rareté du point de vue des hommes dans ces analyses. Nous avons parfois quelques indices sur l’expérience intime du père ou du mari immigrant dans certaines des dynamiques familiales en général (Bibeau et al., 1992) ou encore dans quelques rares analyses qualitatives plus approfondies à échantillon restreint (Noivo, 1997;Hones, 1999). Ce n’est que tout récemment que des études exploratoires ont été entreprises dans le but de révéler le vécu intime de l’immigrant masculin (Austin et Este, 1999; Dyke et Saucier, 2000). 
 
Pour Stéphane Hernandez, l’objectif est de décrire quelques éléments majeurs qui sont à la source d’une certaine vulnérabilité rencontrée par les hommes immigrants, en lien avec leur vécu familial. La démarche méthodologique a consisté à rassembler en une synthèse descriptive ce qui ressort des quelques études québécoises, canadiennes et françaises qui abordent de manière spécifique la question de la transformation du rôle masculin traditionnel chez les hommes immigrants (Haddad et Lam, 1988; Scandariato, 1993; Hammouche, 1997; Dyke et Saucier, 2000). Elle est complétée par divers travaux – en majorité québécois – touchant de près ou de loin l’impact de l’immigration sur la complémentarité des rôles ou sur les dynamiques familiales (Sabatier, 1991; Bibeau et al., 1992; Barudy, 1992; Battaglini, 2000). Cette recherche s’inspire aussi des résultats d’une activité de groupe que nous avons mise sur pied avec des pères immigrants ayant des enfants d’âge préscolaire à Montréal. Ici, l’expérience de l’homme immigrant est abordée sous l’angle de l’impact des nouveaux contextes socioéconomique et socioculturel sur la transformation du rôle traditionnel masculin dans la famille. Nous commencerons alors par situer ce rôle dans le contexte plus large de la société québécoise. 
 
JEUDI 8 MAI 2008 
PETIT COUP D'OEIL SUR L'IMMIGRATION - 3e partie 
Tant que la migration haïtienne au Québec se limitait d’abord à une « fuite des cerveaux », le problème de l’adaptation des haïtiens à l’étranger ne se posait pas, parce que la vie de cette bourgeoisie au Québec s’inscrivait sans trop de heurts dans les traditions sociales du pays d’accueil. C’est à partir de la deuxième vague migratoire qui a déplacé les campagnes haïtiennes vers les métropoles Nord Américaines que la question des relations avec le pays d’accueil a commencé à se poser dans toute son ampleur. Entre ce prolétariat non-scolarisé, issu d’une société paysanne et ouvrière et le milieu urbain hyperdéveloppé de la société québécoise, la communication se fait mal. 
 
Chez les jeunes haïtiens, la mobilité historique, produit un certain nombre de contradictions difficiles à interpréter. Ces jeunes sont aussi peu outillés pour comprendre la culture de leurs parents, laquelle a été reformulée et réinterprétée en situation d’exil, où la nostalgie et les sentiments de perte marquent profondément la culture qu’il leur a été transmise. Ces problèmes culturels se conjuguent à des difficultés de compréhension et de positionnement personnel et social par rapport aux enjeux économiques qui se dessinent actuellement au Québec et partout dans le monde. 
 
Ces difficultés d’interprétation et de positionnement face aux transformations qui s’opèrent dans la société ne peuvent qu’exacerber les conflits sociaux et culturels dans lesquels ces jeunes évoluent. 
 
Les « minorités visibles » 
 
De nombreux jeunes provenant de groupes ethniques, et identifiés comme faisant partie de la « minorité visible », vivent de nombreuses difficultés qu’ils attribuent principalement à des pratiques d’exclusion telle que le racisme. Cette mise en cause du racisme comme étant le principal responsable de leur exclusion sociale est si forte et si insistante, que le projet du Ministère des relations avec les citoyens et de l’immigration d’investir dans la résolution de cette problématique est une initiative importante. Elle est importante dans la mesure où cette problématique est abordée dans sa complexité, prenant en compte la configuration générale de cette problématique et la nécessité d’explorer de nouvelles réponses. 
 
Il y a quelques années, l’ex Ministre et ancien chef de l’opposition à l’assemblée nationale Boisclair diffusait les conclusions d’une étude qui indiquait une plus grande tolérance des québécois face à la présence massive et diversifiée des immigrants au Québec. Ces conclusions rendaient compte d’un résultat des recherches et des interventions qui ont été réalisées dans le domaine des relations interculturelles depuis les années 80 à aujourd’hui. 
 
Ce qui caractérise l’immigration, pendant cette période, c’est l’entrée au Québec d’immigrants porteurs de cultures extrêmement différentes de celles d’autres immigrants avec qui les québécois cohabitent historiquement. Au début des années 80, il fallait aménager un nouvel espace social pour que cette nouvelle donnée culturelle n’exacerbe pas les tensions sociales ni ne favorise l’élaboration de pratiques d’exclusion. C’est ainsi que les chercheurs de différentes disciplines en sciences sociales ont interrogé les pratiques québécoises de xénophobie, d’ethnocentrisme et de racisme, un discours sur la tolérance a pris forme pendant cette période, ouvrant la porte à la création d’une multitude d’interventions sociales, culturelles et politiques (de la formation à l’animation, de la création d’alternatives à des réajustements institutionnels). Les fonds qui sont actuellement dégagés pour les « minorités visibles » est une intervention de l’État qui s’inscrit dans cette période de discours et de pratiques sur la tolérance. 
 
Pendant cette période de discours et de pratiques sur la tolérance, la société québécoise a construit la culture comme étant des pratiques coutumières fondées sur la tradition en tant que fondement inaliénable et invariable dans le temps et dans l’espace. Au nom de la tradition, des formes de fonctionnement de relations à Soi, au Monde et à Dieu sont validées et ne peuvent être remises en question. La culture est vue jusqu’à maintenant comme une force constituante et déterminante socialement. Cette façon de pratiquer la culture est statique parce qu’elle est pensée hors du politique et de l’histoire de son développement. Dans l’expérience québécoise des relations interculturelles, que cette façon de concevoir définit, un certain nombre d’impasses et de vices de forme apparaissent. 
 
La remise en question des pratiques de xénophobie, d’ethnocentrisme et de racisme ne se fait, à venir jusqu’à aujourd’hui, que de façon unidirectionnelle. Nous (immigrants et québécois) n’avons pas encore interrogé les pratiques historiques d’exclusion propres aux immigrants, et dans lesquelles logent des formes de fonctionnement relationnel qui ont été traversées de bord en bord par des systèmes politiques et de connaissances. Ces systèmes régulaient et reproduisaient des dictatures, des féodalismes, des totalitarismes et des processus de colonisations et d’auto-colonisations. 
 
Il est propre à une certaine conception du pouvoir d’interroger le fonctionnement des relations de pouvoir, telles les relations québécois-immigrants, sur la base de la relation dominant-dominé ou de celle de bourreau-victime. Les politiques et les pratiques d’intervention sociale qui ont suivi ce mode d’analyse ont produit une position sociale et politique de culpabilité de la société québécoise ; affaiblissant l’affirmation de ses propres codes culturels et validant une position sociale et politique de victimisation des immigrants, réduisant ainsi leurs possibilités d’inclusion. Lorsque ces deux positions se déploient socialement, elles produisent ensemble un terreau propice aux problèmes d’identité. 
 
Des limites apparaissant dans les représentations actuelles de la culture au Québec. Ces façons de faire et de voir la culture favorisent l’enfermement dans le ghetto, la rigidité des stratégies d’adaptation et de l’ethnocentrisme des individus et de leur groupe. Le développement de la tolérance, comme attitude première à l’ouverture culturelle, se heurte aux replis et à la fermeture des groupes ethniques sur eux-mêmes, à leur faible réflexivité et à l’absence d’une position critique vis-à-vis de leurs propres codes culturels. 
 
La culture est perçue comme une force constituante et non comme une force directionnelle, comme un déterminant social et non comme une puissance d’influence nomade et potentiellement multiforme, comme un monument digne d’être vénéré et non comme des pratiques historiques susceptibles d’être passées en jugement et transformées. Notre discours actuel sur la culture ne peut ni inspirer ni soutenir la construction de lieux culturels communs dans lesquels les jeunes pourraient formuler leur avenir et produire les conditions de leur réalisation personnelle et sociale. 
 
Face à ce constat, nous croyons à l’importance d’explorer de nouvelles stratégies d’intervention qui favorisent une dévictimisation chez les jeunes des « minorités visibles ». En effet, les problèmes d’identité, les problèmes liés à la méconnaissance de la société et des enjeux sociaux et économiques actuels, les problèmes résultant de la non résolution des contradictions culturelles et les problèmes générés par une victimisation dans la relation de ces jeunes à la société doivent être abordés pour aider les jeunes à développer un pouvoir d’appropriation des conditions de production de leur réussite sociale et économique. Pour ce faire, nous croyons à l’importance d’intervenir de façon transdisciplinaire dans la problématique liée à l’emploi chez les jeunes issus des « minorités visibles ». 
 
JEUDI 10 AVRIL 2008 
PETIT COUP D'OEIL SUR L'IMMIGRATION - 2e partie 
Je reprends à mon compte la pensée de Filepe Baptista dans un discours lors d’un symposium tenu à Montréal, voilà quelque temps sur l’immigration. 
 
Sur le plan des valeurs, l’immigration a toujours été perçue comme un handicap, une mésadaptation sociale, un échec social plus ou moins grave, alors qu’il s’agit tout simplement de la recherche pure et simple d’un mieux-être afin de trouver, bien souvent, une dignité perdue d’être humain, d’acquérir, en somme, les conditions optimales de réussite sur le plan personnel et social. 
 
Il ne faut pas oublier non plus que les immigrants, parvenus à se faire une place dans une nouvelle société, se trouvent souvent isolés et ne participent pas ou peu aux décisions qui fixent leur existence dans la mesure où ils ne sont intégrés aux nouvelles sociétés que par le biais du travail. 
 
De plus, l’immigrant déraciné n’a pas d’appartenance, ni au pays d’origine ni au pays d’adoption. Il passe par une phase psychologique où il n’est ni d’un côté ni de l’autre. Cette phase peut être très longue s’il ne trouve pas les moyens de s’intégrer. S’il perd ses points de référence, il ne peut pas être actif dans son nouveau milieu. 
 
Venir d’ailleurs 
 
Mais pour mieux saisir l’immigrant et le mécanisme qui donne tout le sens à son comportement, il faut le situer dans un contexte social plus large de production. En termes économiques, l’immigrant représente une force de travail, une monnaie d’échange économique. Sur ce plan, il transforme son « savoir-faire », ses habiletés en monnaie d’échange économique. 
 
Ce faisant, il élabore un certain nombre de valeurs par lesquelles il doit être reconnu socialement. Être reconnu veut dire participer à tous les niveaux de la structure du pouvoir dans la nouvelle société. Or, c’est ici que les problèmes commencent. L’immigrant se retrouvera toujours confronté à l’argument qu’il vient d’ailleurs. 
 
C’est « ailleurs » charrie beaucoup de préjugés culturels, beaucoup de mythes! Il doit s’assujettir au pouvoir réducteur dominant de la société. Cela signifie aussi que le pôle du pouvoir non seulement lui échappe mais qui plus est, risque de le marginaliser s’il n’accepte pas les règles du jeu. Cela part du présupposé que si l’individu échoue, ce n’est pas la faute du système, mais du fait qu’il ne s’ajuste pas aux normes établies. 
 
Suivant ce résonnement, nous pouvons dire que la culture occidentale « … en tant que culture dominante porte en elle les traces de la violence qui lui a permis d’accéder au pouvoir ». 
 
« Elle a fait preuve d’une puissance incroyable d’assimilation et d’inclusion de toute chose, même de cela qui la conteste du dehors, une volonté d’accommodement, de conformité et de cohésion sociale qui tente par tous les moyens d’effacer les contradictions de masquer les écarts, si bien qu’il devient difficile de dissocier culture et pouvoir réducteur ». Pour l’immigrant, par conséquent, plus il est loin du pôle du pouvoir, plus il est fragile socialement. 
 
Faire ses preuves 
 
Au départ, l’immigrant doit non seulement surmonter les obstacles inhérents à sa situation d’ « étranger », différent culturellement, par le fait même, mais il doit prouver plus que quiconque qu’il est capable de réussir. 
 
Sa crédibilité sociale en dépend. Il doit ainsi se soumettre aux conditions de la loi sociale qui est la loi de l’échange, c’est-à-dire celle qui transforme les « choses » en valeurs et les valeurs en « choses ». C’est elle qui assigne tous les individus, sans distinction, à un certain ordre social, à une logique de l’échange des valeurs. 
 
« Une société comme la nôtre est un système social structuré et hiérarchisé dans lequel existent des groupes sociaux dont les places qu’ils occupent ne sont pas équivalentes. Elles sont diversifiées et inégales de même que les « conditions humaines » des groupes, et des individus à l’intérieur de la « condition humaine » commune. Places géographiques, économiques, sociales, place dans l’ordre du savoir et du pouvoir. 
 
Cette différence sociale et l’inégalité des conditions de développement des groupes et des individus ne sont pas un phénomène accidentel, marginal, inintelligible. Elles se présentent plutôt, à l’analyse des faits, comme le résultat, le produit « normalisé » du fonctionnement normal de la loi fondamentale inhérente à notre société ». 
 
Phénomène économique 
 
En Occident, l’immigration a toujours été, jusqu’à présent, un phénomène économique qui confirme non seulement notre analyse mais qui ne peut pas fonctionner en dehors d’une telle logique. 
 
En fait, elle est intrinsèquement liée au développement et à l’extension du monde industriel. « Néanmoins, parvenus à imposer leurs règles dans le jeu de l’échange et du profit international, les pays développés ont sans cesse visé à étendre leur pouvoir de décision à d’autres domaines moins directement économiques, tels que la vie politique et culturelle. La relation de dépendance, fruit de la domination, a conduit historiquement au couple développement / sous-développement. 
 
Celui-ci est la conséquence de celui-là. La réflexion sur le phénomène de domination doit dépasser le cadre purement économique et évolutionniste, pour se situer dans une perspective où les données culturelles retrouvent leur véritable place. 
 
Cette analyse semble être corroborée par beaucoup de chercheurs en sciences humaines à l’heure actuelle. Toutefois, dans notre analyse, il ne faut pas oublier aussi une autre dimension, celle qui vient du passé colonial, des conditions même dans lesquelles se sont développées l’occupation et l’exploitation commerciale du tiers monde par la plupart des pays industrialisés. 
 
« L’héritage colonial » 
 
En effet, pour mieux expliquer la condition d’immigrant, il faut partir absolument de ce que certains historiens appellent « l’héritage colonial », pour caractériser la tendance des conditionnements coloniaux qui ont assuré la continuité entre les régimes coloniaux et les actuels régimes démocratiques. 
 
Pour corroborer cela, il suffit d’examiner de plus près le concept de race qui prend une dimension nouvelle à partir du colonialisme. À mon sens, il s’agit d’un concept purement politique, voire idéologique. Comment peut-on expliquer un tel concept en Afrique noire? 
 
Y a-t-il plusieurs races noires? Nous voyons bien que c’est l’homme blanc qui a non seulement définit les barrières physiques du continent africain, mais qui a surtout crée le concept de différence de race. (Il y a là, de toute évidence, un intérêt économique et politique). Ceci rejoint l’idée de Nietzsche dans La Généalogie de la morale : 
 
« … Ce sont les races nobles qui ont laissé l’idée de barbare sur toutes les traces de leur passage » (G.M.I., 11). Un tel concept n’a pas de fondement génétique. D’ailleurs, la division géographique de ce continent ne correspond pas aux démarcations culturelles de ces peuples. Dans cette optique, le racisme, aboutissement suprême de la honte humaine, ne peut être que la figure d’un état de domination dans les domaines économique, politique, culturel et même religieux. Il y a une seule race, l’espèce humaine. 
 
Si nous nous sommes étendus quelque peu sur l’analyse du contexte historique de l’immigration, c’est parce qu’elle est indispensable pour en mesurer le poids et pour comprendre l’importance des profonds changements qu’il faut faire à l’actuel système d’immigration et aux lois qui le soutiennent. 
 
Contrairement à ce que l’on a dit plus haut, ce ne sont pas les individus qui refusent de s’ajuster au système. C’est, au contraire, celui-ci qui, eu égard à la loi sociale dont on a déjà parlé, ne tient pas compte de l’évolution normale des nouveaux individus qui s’intègrent à la nouvelle société. Ce ne sont pas les hommes qui doivent se soumettre aveuglément aux principes immuables. Ce sont ceux-ci qui doivent être repensés et ajustés aux nouvelles conditions d’existence de ceux et de celles qui font la richesse de la société. 
 
Réussir sa vie 
 
L’immigration non seulement ne constitue pas un fardeau pour la collectivité, mais doit se poursuivre dans les meilleures conditions possibles. À l’image des peuples nomades, nous sommes tous des immigrants. Nous venons de quelque part. Nous cherchons tous le même objectif : réussir sa vie. L’argument de l’ancienneté territoriale ne peut plus constituer un argument sérieux pour définir les paramètres d’une société. Sinon, que répondrons-nous aux nations indiennes alors que cela fait des millénaires qu’elles habitent ce territoire? 
 
Si on tient compte des conditions actuelles d’évolution des sociétés, du problème du vieillissement des populations, de la baisse de natalité de l’Occident, des chambardements politiques qui s’opèrent un peu partout, l’immigration devient une richesse incalculable. 
 
Rentable pour le Canada 
 
Je dirais même qu’elle devient une question de survie, de prospérité et d’épanouissement collectif. Une étude récente du professeur Ather Akbari, professeur d’économie à l’Université St.Mary de Halifax, soutenait que « l’accueil d’immigrants constitue un investissement rentable pour le Canada, car ceux-ci versent davantage d’argent dans le trésor fédéral qu’ils n’en retirent… Les immigrants arrivés au pays depuis 1946 ont profité en moyenne de 3575$ en paiement de transferts et en services de santé et d’éducation pendant l’année 1980. Ils ont par contre payé 10 537$ en impôts, taxes de vente et autres taxes diverses » (Le Devoir, 4 janvier 1990). 
 
Il n’y a plus de doute que les immigrants, sur le plan économique, politique et culturel, constituent une force considérable pour le pays. Pour reprendre l’idée de René Lévesque au moment de la prise du pouvoir en 1976, je dirais que les immigrants ne sont plus « un accident de parcours »… Une étude récente du professeur Robert Boily, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal, prouve hors de tout doute qu’au moins dans la région de Montréal, les immigrants tiennent la balance du pouvoir (Le Devoir, 15, 16 septembre 1989). 
 
...même s’il est souvent démuni, l’émigré n’est jamais un « voyageur sans bagage ». Il apporte avec lui, imprégnant sa vision du monde et son comportement, une culture qui englobe un type de formation, des moyens pour expliquer la réalité et agir sur elle, un système idéologique avec ses principes d’explication et ses valeurs. (Chancy et Pierre-Jacques, 1981 :43) 
 
L’immigration haïtienne au Canada s’explique en partie par les conditions de vie particulièrement difficiles subies actuellement par le peuple haïtien (Marchand, 1981). Toutefois, cet exode massif qui correspond à l’arrivée au pouvoir de François Duvalier, en 1957, s’explique également par des conditions propres à la société québécoise. Un bref historique montre que les caractéristiques de cette immigration (volume, composition, etc.) sont directement reliées aux besoins en main-d’oeuvre du Canada (Bastien, 1986; Dejean, 1978). Ainsi, entre 1960 et 1970, suite à l’expansion du secteur tertiaire (santé, éducation, etc.), le Québec a eu un grand besoin de main-d’oeuvre qualifiée dans ce domaine. Cette période correspond à la première vague de l’immigration haïtienne qui est caractérisée par un pourcentage élevé de professionnels dans le domaine de la santé et de l’éducation. Ils ont un statut d’immigrant indépendant et leur insertion dans la vie québécoise s’est effectuée dans des conditions relativement favorables. Par ailleurs, le volume de cette immigration est assez faible. 
 
Entre 1972 et 1985, on observe deux phases. La première, de 1973 à 1977, se distingue par l’arrivée d’immigrants peu ou semi-spécialisés provenant de la classe ouvrière haïtienne (Larose, 1984). La seconde, de 1981 à 1983, se démarque par la venue d’immigrants issus surtout de la paysannerie. Pour l’économie canadienne, ces immigrants arrivent à point. En pleine crise économique, ce type de main d’oeuvre : 
 
…permet la diminution du coût de la main-d’oeuvre pour certaines fractions de la population et des services à faible composition organique du capital, car elle rend possible la surexploitation du travail immigrant;…elle permet une épargne considérable des coûts sociaux de formation et de reproduction de la force de travail;…elle exerce une pression à la baisse des salaires des nationaux et participe le plus souvent à la division de la classe ouvrière, bien que ceci ne soit pas absolu. (Labelle et al., 1983 : 81). 
 
La période de 1972 à 1985 retiendra davantage notre attention car plus de 80% des Haïtiens entrés au Canada sont arrivés durant cette période. Statistique Canada (1981 : voir Bastien, 1986) estime que la grande majorité (90%) des Haïtiens immigrés au Canada vivent dans la région métropolitaine de Montréal. Diverses sources estiment en 1986 la population de la région métropolitaine de Montréal à plus de 40 000 Haïtiens (Lamotte, 1985; Piché, Larose et Labelle, 1983). Nous verrons maintenant les caractéristiques de l’immigration haïtienne au Québec depuis 1972. 
 
En novembre 1972, le gouvernement canadien entame un processus de restriction de l’immigration. Le parrainage de l’immigrant par un parent déjà installé au Canada devient le principal critère d’admissibilité des immigrants. Le gouvernement veut alors favoriser la reconstitution des familles immigrantes vivant au Québec et au Canada. À partir de ce moment, le statut des immigrants haïtiens entrant au pays est majoritairement celui de parrainé. Cette population se caractérise par une sur-représentation féminine (Bastien, 1986). Pour la période comprise entre 1971 et 1981, on compte en moyenne 87,4 hommes pour 100 femmes. Les principales raisons de ce phénomène sont la disponibilité des postes dévolus aux femmes sur le marché canadien et les transformations importantes survenues dans l’économie haïtienne qui ont particulièrement touché la main-d’oeuvre féminine (Lamotte, 1985). 
 
Selon Lamotte (1985), le niveau de scolarisation des immigrants haïtiens est supérieur à celui de la population active québécoise : 27% ont fait des études collégiales et 20% des études universitaires. Ceci concerne principalement la population masculine car 75% des Haïtiennes (nées en Haïti) sont analphabètes fonctionnelles. Cependant pour la majorité des immigrants haïtiens, le créole constitue la langue maternelle et le plus souvent la langue d’usage, le français n’étant que la langue utilisée dans l’enseignement (Marchand, 1981). La maîtrise du français variant en fonction du degré de scolarité, l’expérience montre qu’un bon nombre d’immigrants haïtiens rencontre des problèmes de communication semblables à ceux des allophones principalement en milieu scolaire et lors de la recherche d’un emploi. 
 
La présence illégale d’immigrants est une autre caractéristique non négligeable de l’immigration haïtienne au Québec (Marchand, 1981). Pour beaucoup, légaliser leur statut à leur arrivée est une tâche importante sinon primordiale : 63% des immigrants ont eu à faire face à ce problème entre 1973 et 1976 et 47% en 1980 (Lamotte, 1985). Cette situation, outre le stress de la clandestinité, de l’exploitation et de l’endettement interdit à plusieurs l’accès aux programmes d’accueil provinciaux et fédéraux. 
 
Bien que la communauté haïtienne de Montréal ne se présente pas comme un groupe homogène, il est tout de même possible de brosser un portrait de l’Haïtien nouvellement immigré. Il quitte son pays à cause d’un climat socio-économique détérioré et rejoint un parent déjà installé au Québec. Il provient d’un milieu plus ou moins défavorisé, il est peu ou pas spécialisé mais son niveau de scolarité est supérieur à celui d’un québécois (population active). Quant à l’Haïtienne, elle a un niveau de scolarité inférieur à la femme québécoise. La maîtrise du français est variable, elle est reliée au niveau de scolarité. Son expérience avec les autorités de l’immigration risque de lui avoir laissé une certaine méfiance. Toutefois, en dépit de nombreuses difficultés matérielles et psychologiques inhérentes à l’immigration et malgré un fort attachement à son pays et l’entretien perpétuel du rêve de retour, l’immigrant haïtien est motivé à s’intégrer à la vie québécoise (Lamotte, 1985; Larose, 1984; Ministère de la Main-d’oeuvre et de Immigration, 1974). Malheureusement, les conditions socio-économiques qui lui sont faites rendent la tâche difficile, d’autant qu’il arrive au moment d’une crise économique qui touche particulièrement les secteurs faibles de l’économie où il est susceptible de se retrouver (Bastien, 1986). 
 
JEUDI 20 MARS 2008 
PETIT COUP D’ŒIL SUR L’IMMIGRATION 
1- Les phénomènes de migration ne sont pas nouveaux. Dès l’époque primitive, les hommes partaient à la recherche des nouveaux territoires de chasse pour assurer leur survie. L’antiquité a connu de grandes conquêtes : l’empire romain, la domination grecque, les triomphes des pharaons, etc.…et aussi ses grandes migrations. Les grandes conquêtes des XV, XVI, XVII et XVIIIe siècles par les Portugais, les Espagnols, les Français, les Anglais, et les autres Européens ont marqué l’humanité de dramatiques phénomènes d’émigration forcée. C’était la période de l’esclavage! 
 
Par l’esclavage, les conquérants ont dominé les peuples de l’Afrique, de l’Amérique latine, des Antilles, de l’Amérique du Nord et de l’Asie. Leurs visées colonialistes allaient se terminer seulement au XXe siècle par les luttes d’indépendance. 
Les luttes ne sont pourtant pas finies. Aujourd’hui, la domination est moins directe, moins franche, mais non moins réelle, car les pays riches soutiennent les pouvoirs en place dans les pays du Tiers-Monde. 
Les Chefs d’État autoritaires en Amérique Latine et en Afrique représentent bien la domination moderne. 
 
2- Sous la domination moderne des grands capitaux internationaux les migrations de travailleurs ont pris beaucoup d’ampleur. L’industrialisation généralisée en Amérique du Nord au XIXe siècle a attiré sur notre continent une masse de travailleurs quittant leur Europe natale ou leur colonie britannique pour chercher fortune au nouveau monde : les U.S.A. et le Canada. 
 
3- Au milieu du XIXe siècle jusqu'à la première guerre mondiale de 1914-1918 de nombreux Irlandais, Ecossais et Asiatiques (les Chinois en particulier) sont venus travailler à bâtir des chemins de fer, construire des bateaux, ouvrir des mines, etc.… 
 
4- Au début du XXe siècle, une immigration importante venait aussi d’U.R.S.S. et des autres pays de l’Est. Ils fuyaient la misère imposée par les tsars. 
 
5- L’entre deux guerres signifie une immigration relativement restreinte. L’Europe est en reconstruction, mais beaucoup doivent fuir la domination fasciste. Par exemple, les Italiens fuient Mussolini, lequel persécute particulièrement les travailleurs. En 1929, éclate la crise économique mondiale, laquelle freine radicalement toute immigration. 
 
6- La grande crise des années ’30 préparait la seconde guerre mondiale. Hitler prend le pouvoir en 1933 et ensuite d’autres dictatures fascistes prennent le pouvoir, par exemple Franco en Espagne, Salazar au Portugal. La guerre ne permettait pas l’immigration. Cependant la fin de la guerre et la prospérité créée par l’industrie de guerre en Amérique a permis à de nombreux européens (Grecs, Portugais, Espagnols, Italiens) de fuir les régimes fascistes de leur pays. 
 
7- En 1951, en pleine guerre froide, la convention de Genève vient confirmer que l’immigration doit toujours être sélective. On accorde une attention spéciale aux immigrants qui quittent les pays de l’Est afin de faire croire aux peuples d’Occident que les « démocraties occidentales » sont particulièrement libérales et ouvertes, et qu’elles offrent la liberté à tous. Mais de fait, les pays capitalistes veulent se servir de ce prétexte pour justifier leur opposition aux pays socialistes. 
 
8- Dans la dernière décennie, l’Amérique Latine, les Antilles et l’Amérique Centrale sont devenus de nombreux pays fournisseurs d’immigrants. Encore là, les travailleurs fuient les régimes fascistes soutenus par le capital international ou sont forcés de chercher un mieux-être économique. 
Évidemment, les Européens, spécialement les Britanniques, continuent de venir au Canada mais les latino-américains : Antillais, Chiliens, Argentins, Brésiliens, Uraguayens, Honduriens, Puertoricains, Dominicains, Haïtiens, etc. forment une bonne partie de l’immigration récente. 
 
L’IMMIGRATION ET SES CONTRADICTIONS 
 
1- L’opinion la plus répandue laisse croire que la plupart des immigrants viennent au Canada attirés seulement par la recherche du dollar et de la liberté ou encore par le goût de l’aventure, par désir de conquérir l’Amérique, pour prendre les emplois des travailleurs du pays, etc.… donc, les préjugés ne manquent pas. 
 
2- Il est connu que la plupart des immigrants sont venus dans l’espoir de retourner un jour dans leur pays natal. Les uns pour étaler les « trésors » acquis en Amérique en ouvrant un petit commerce ou en achetant une maison ; les autres désirent simplement retourner pour vivre en liberté. Mais une chose est certaine, peu importe la raison de leur venue au Canada, la plupart rêvent pendant longtemps du retour possible dans leur pays d’origine. Pourtant l’histoire nous démontre que la plupart reste. Ils sont obligés parce que les enfants veulent rester, parce qu’ils ne veulent plus revivre un nouveau déracinement, mais surtout parce que leur rêve est devenu irréalisable. La fortune ne vient pas… les régimes fascistes mettent trop de temps à s’écrouler. 
 
3- L’immigrant est déçu parce que victime d’une machination internationale du pouvoir capitaliste qui se donne la main pour développer des bassins de main-d’œuvre à bon marché. Souvent l’immigrant ignore lui-même le fondement même des causes de son émigration vers l’Amérique. Le mythe de l’attrait n’existe pas, seule existe l’obligation ou la nécessité de quitter sa terre natale. Que ce soit pour des impératifs économiques ou politiques le travailleur immigrant est victime d’une contradiction. L’immigration n’est jamais un choix. 
 
4- Exploité dans son pays, le travailleur immigrant se voit forcé d’émigrer. Arrivé ici il rejoint la masse de la main d’œuvre à bon marché. Ignorant les lois du pays d’accueil, ignorant les mécanismes de défense de ses droits, discriminé dans le processus d’embauche, souvent ignoré et méprisé des travailleurs nationaux, le travailleur immigrant est soumis aux règles du jeu capitaliste qui guettent cette proie facile. Ils lui offrent souvent l’emploi non-acceptable par le travailleur national et le paient le moins cher possible. Ils ne lui offrent aucune sécurité d’emploi, souvent ils ne lui accordent que des avantages sociaux minimes. Ils le soumettent à l’arbitraire ou le traitent en enfant, en lui laissant croire que l’emploi qu’il occupe est une faveur, un privilège et un bon geste paternaliste. Au fond, le travailleur immigrant est forcé de vendre sa force de travail au meilleur offrant, c’est-à-dire à celui qui pourra tirer profit de l’exploitation du travailleur. 
 
5- Au plan social et culturel, le travailleur immigrant est souvent isolé et confiné à sa communauté. Pour obtenir un emploi il doit connaître les « tuyaux » que son patriote d’origine peut lui donner. Pour louer un logement, il doit aussi compter sur ses amis, etc.… D’ailleurs, le rejet par les citoyens canadiens le force souvent à demeurer dans son ghetto. S’intégrer à la société québécoise demande plus qu’un effort de volonté, cela exige aussi des conditions objectives complexes : des lois adéquates, des changements d’attitudes, des mouvements de solidarité contre l’exploitation sous toutes ses formes. 
 
6-Le portrait laisse place à des aspects positifs. Bon nombre de travailleurs québécois comprennent que le travailleur immigrant est encore victime de l’exploitation au même titre que lui. De plus, le travailleur immigrant, de par son expérience politique dans son pays et par sa solidarité avec le travail d’ici peut contribuer grandement à mettre fin à l’exploitation. 
 
Les migrants refusent l’assimilation mais désirent l’intégration à part entière. Ils considèrent que la communication avec l’autre est d’une très grande importance dans un processus d’enrichissement mutuel mais en pratique, les conditions de survie les obligent souvent à s’en tenir à une communication intra-groupale. Ils sont en situation de choc culturel et développent toutes sortes de sentiments et de conduites de frustration quand ils n’arrivent pas à dénouer les nœuds de résistances que leur oppose la société d’accueil. Ils réclament le maintien de la langue d’origine. Soit. Cet élément qui fournit un support considérable aux nouveaux venus mais à l’observer de près, on se rend vite compte qu’il y a là une solution de facilité qui risque d’éloigner le migrant de la société d’accueil, et, à bref délai, le faire déboucher sur le repli sur soi, qui ne peut que l’éloigner de l’autre. Les migrants créent des services parallèles avec des moyens précaires et sous-utilisent les services québécois mieux pourvus en ressources. 
 
Il est constamment déchiré entre deux cultures, ce qui provoque une crise profonde de son identité. Cette crise peut prendre des formes variées : un sentiment d’infériorité, le mépris de soi ou une plus grande dépendance à l’égard des autres. 
 
Afin de donner une identité positive de lui-même et d’échapper à toutes ces tensions, l’immigrant tend à vivre auprès des gens qui ont les mêmes habitus culturels. Vu de l’extérieur comme un refus de s’intégrer dans la société d’accueil, ce geste constitue plutôt une façon de s’adapter à son nouveau milieu et de trouver appui auprès des autres membres de sa culture qui connaissent les mêmes problèmes. 
 
Le phénomène de l’immigration rend bien compte du sentiment d’aliénation vécu par des gens transplantés dans une autre culture. Dans les sociétés modernes, de plus en plus d’individus sont appelés à se déplacer de façon temporaire ou permanente. Ils peuvent ainsi vivre des chocs culturels et psychologiques intenses dont il faut préciser la nature. L’adaptation à une autre culture ne va pas de soi. Ce sentiment d’aliénation se manifeste lorsque l’immigrant se voit contraint de quitter son pays pour adopter le mode de vie et la culture d’un autre pays. 
 
L’immigrant est un individu qui a déjà acquis tout un système d’habitus lié à sa culture d’origine. Son intégration dans la société d’accueil s’effectuera très lentement par la transformation ou l’abandon d’habitus culturels initiaux. Cette mise en question des habitus provoque, une crise d’identité chez l’immigrant. Le premier drame qu’il vit se produit, bien sûr, au moment des premiers contacts avec l’autre culture ; c’est ce qu’on appelle le choc culturel, c’est-à-dire la prise de conscience des différences parfois très grandes en ce qui concerne les habitudes de vie et les traditions. En deuxième lieu, l’immigrant subit fréquemment une exclusion sociale : il est considéré comme un étranger par sa société d’accueil et il se sent lui-même différent dans sa société d’origine. 
 
Publié par Eddy J. Constant Pierre