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Jeunes Adolescents.  

 DIMANCHE 25 JUILLET 2010 
 
Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 5e partie 
CONCLUSION 

Comment évaluer l’impact d’un tel atelier sur les groupes d’adolescents qui y ont participé? Jusqu’où cela a pu influencer la vie de l’unité dans son ensemble? Nous n’avons certes pas la prétention de fournir des données statistiques là-dessus. Néanmoins nous avons pu observer des changements méritant d’être mentionnés. Par exemple : 
 
- une augmentation du niveau de connaissances en matière de physiologie, de contraception et de maladies transmises sexuellement (ce qui a pu être vérifié par le jeu-questionnaire). 
- Une utilisation dans le langage courant d’un vocabulaire sexologique précis. 
- Une aisance plus grande à aborder les questions sexuelles avec le personnel de l’unité et avec les pairs. 
- Un désir plus fréquent d’obtenir une consultation médicale personnelle en contraception. 
- Une ouverture à envisager des valeurs différentes de celles véhiculées dans leurs milieux d’origine. 
- Et enfin, contrairement à ce que certains auraient pu penser, pas plus d’acting-out sexuels qu’auparavant. 
 
Nous pensons avoir donné à ces jeunes et nous sommes certains d’avoir reçu d’eux. Ce qui constituait au départ le défi spécifique de notre projet, soit le fait qu’ils présentent des problèmes psychiatriques graves, a peut-être été aussi ce qui en a fait la richesse. Nous parlant de la saleté et de l’étrangeté de ce corps en changement, nous disant leurs craintes qu’il fonctionne inadéquatement, abordant à la fois le désir et la peur de la fusion, nous exprimant leur inquiétude face à une violence potentielle, ils nous ont donné accès à des dimensions de leurs fantasmes qu’il n’aurait certes pas été possible d’atteindre avec des adolescents dits « normaux ». 
 
Nous terminons avec cette citation qui résume bien l’esprit qui nous a habités pendant toute cette expérience. 
 
« Animer un débat sur la sexualité avec des adolescents n’est pas une cure de rajeunissement. Le « je suis comme vous » peut être tentant mais il est faux, voire nocif. Nous souhaitons au moins n’avoir pas nui : 
- en ayant toujours essayé d’utiliser l’information comme moyen d’échange et non comme substitut de l’échange. 
- En ayant toujours eu le souci de respecter la différence des générations. 
- En ayant toujours cherché à restituer la sexualité dans sa globalité et sa richesse relationnelle sans la réduire à une technique. » 
 
VENDREDI 23 JUILLET 2010 
Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 4e partie 
Durée et animation 
 
L’atelier en entier se divise en dix rencontres d’une heure trente chacune. Les animateurs assurent en alternance l’animation et la coordination de chacune des rencontres, les deux autres personnes ayant alors une fonction de support immédiat à accorder aux adolescents tantôt timides tantôt trop exubérants; ils sont davantage à l’écoute des besoins particuliers de chacun des participants et peuvent fournir une attention personnalisée et individuelle au jeune concerné. 
 
L’intervenant qui fait office d’animateur principal pour une rencontre prend en charge l’organisation globale et la structuration de cette rencontre en conformité avec les besoins décelés lors de la rencontre précédente; les deux autres intervenants se rendent disponibles pour exécuter certaines démarches. En tenant compte du contenu réel d’une rencontre, de la réponse des participants, des nouveaux besoins exprimés, l’équipe d’animation définit les objectifs de la prochaine et fait l’inventaire des démarches nécessaires à son accomplissement. 
 
Enfin l’équipe d’animation tient une réunion de dernière heure sur le déroulement prévu et sur le climat du groupe à ce moment. Nous anticipons alors le type de support nécessaire à donner à certains adolescents face à des situations ou des états d’âme particuliers. Nos interventions tiennent compte de la conjoncture du moment tant au niveau de l’atmosphère de groupe que de la dynamique de chacun des individus. Une relation de confiance se créant entre les participants, l’échange qui s’établit tend à devenir un mouvement circulaire. Certaines barrières s’estompent, les fonctions et rôles de chacun font place graduellement à une plus grande acceptation de l’autre comme individu (intervenant ou patient). Le besoin d’une progression très structurée, très prévisible devient alors secondaire, la formulation des besoins et l’écoute de ces mêmes besoins constituant le cœur des rencontres. 
 
Environ un mois après la fin des séances chacun des participants est rencontré par deux animateurs afin d’évaluer comment l’adolescent a vécu l’expérience, vérifier à nouveau si les connaissances ont été correctement assimilées et si des questions sont demeurées sans réponse. 
 
JEUDI 22 JUILLET 2010 
Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 4e partie 
ASPECTS PRATIQUES 
 
Globalement nous pouvons scinder le contenu des ateliers en deux dimensions : l’une à caractère informatif portant sur des connaissances telles que : les changements physiologiques liés à la puberté, le fonctionnement des organes reproducteurs, les moyens contraceptifs, les maladies transmises sexuellement, etc.; l’autre dimension touche davantage le mode relationnel de la sexualité : les rencontres garçons/filles, le flirt, la fidélité, la peur du rejet, le potentiel des violence, etc. Plusieurs sujets furent abordés conjointement, un sujet amenant l’autre et se confondant avec le premier. 
 
APPROCHE ET MOYENS PÉDAGOGIQUES 
 
Tout en ayant préparé le contenu des sujets au programme nous voulions une animation souple qui susciterait l’implication des adolescents. Nous désirions jouer un rôle de démarreur et d’orienteur. L’intérêt des adolescents devait être le moteur du processus et le contenu des séances servait alors de carburant au processus d’apprentissage. Nous décidons d’organiser le déroulement global en fonction des besoins exprimés par les adolescents(es). La règle principale au sein du groupe est celle du respect mutuel entre les participants : libre à chacun d’exprimer ses idées, ses désaccords, ses sentiments, sans cependant prendre à partie les personnes présentes. Comme animateurs nous nous portions garants de cette condition de base. 
 
Les adolescents(tes) participant à la première série de rencontres ont suggéré une façon simple d’aborder les sujets qui les intéressaient : partir de la réalité quotidienne; ainsi, avant d’avoir des relations sexuelles il faut prendre contact avec d’autres jeunes, établir des liens. Conséquemment, les rencontres garçons/filles constituèrent le thème de la première réunion. Puis, via le désir de plaire, le jeu des relations (le flirt) et les stéréotypes sexuels, le groupe s’est intéressé à la physiologie du corps humain (organes génitaux, mécanismes de reproduction) ainsi qu’à la contraception et aux maladies transmises sexuellement. 
 
Support technique 
 
Nous avons tenté de varier les façons d’introduire les différents sujets. Nous avons utilisé des moyens tels les jeux de rôles avec enregistrement vidéo, les films, les diaporamas, les dessins, le mime, les jeux questionnaires, les planchettes explicatives, les échantillons de contraceptifs etc. 
 
Par ces moyens variés nous visions à conserver notre groupe en éveil et à les rejoindre à des niveaux différents : concret ou abstrait, habileté motrice ou intellectuelle. Les adolescents répondent d’ailleurs beaucoup mieux aux média concrets qui les mettent en action ou qui comportent une illustration claire du contenu proposé. Par exemple dans le but de vérifier les connaissances acquises au cours de l’atelier nous avons élaboré un questionnaire. Nous l’avons cependant utilisé sous forme de quiz par équipe. Les adolescents ont très bien répondu à cette variante; cela contribua pour beaucoup à annuler le stress d’un interrogatoire, l’adolescent comme entité n’étant pas confronté à l’échec ou au succès. De plus, les questions entraînant un processus de discussion et exigeant un consensus favorisaient ainsi des échanges intéressants. 
 
MERCREDI 21 JUILLET 2010 
Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 3e partie 
PHILOSOPHIE D'INTERVENTION 
Comme animateurs nous comptions sur des repères, sorte de transcriptions intellectuelles et émotionnelles qui encadraient et permettaient ce que les américains conviennent d’appeler « le processus ». Ainsi, nous savions que la relation de l’adolescent à celui qui est du même sexe passe par la similitude ou l’image en miroir : « être comme ». En l’occurrence, parmi les adolescents se dessinent souvent des leaders, la plupart du temps les moins malades, qui servent de référence aux autres. Nous nous devions de renforcer ces éléments sains et permettre ainsi au groupe qui allait se constituer d’être son propre moteur. 
 
Notre population est mixte, les garçons et les filles se rencontrent quotidiennement et partagent plusieurs activités offertes par le milieu. Ils manifestent par des comportements subtils, leurs préoccupations à ce niveau. Le désir de rapprochement passe souvent par des « chamaillages ludiques », principaux témoins des essais et des maladresses. Ils évitent ainsi de montrer leur timidité et leur inexpérience et s’épargnent la confrontation trop directe avec la peur du rejet. Un autre point chaud concernait les attentes face aux parents, en tant qu’images structurantes. Pierre, adolescents de 17 ans, parlant de son père « homme raffiné, se souciant d’esthétique et d’art » s’inquiète que celui-ci ait une difficulté majeure à mettre des limites à son fils; il a des préoccupations autour d’un rapprochement trop grand à la mère et finalement exprime la peur de ne jamais être un homme, de rester dans un univers d’enfant gâté : désir à la fois entretenu et rejeté. Nous savions qu’il était de cette relation au père en psychothérapie et nous pouvions l’encourager à l’approfondir dans ce lieu privilégié. 
 
Nos objectifs de travail furent simples : écouter l’adolescent, être disponible, jouer notre rôle d’adulte surtout. Nous souhaitions donner une information de base concernant les changements liés à la puberté et fournir des occasions d’expérimenter dans le « concret » des façons d’être dans la relation à soi et à l’autre. Nous avons choisi d’utiliser un langage, clair et compréhensible pour l’adolescent; nous voulions éviter le discours scientifique et objectivant ou encore le discours populaire qui aurait pu, certes, nous rendre la vie plus facile en permettant une distance et en nous situant dans un rôle confortable, d’intervenant; mais nous ne voulions pas mettre d’entrave au climat d’intimité et de respect mutuel que nous avions à cœur de créer et de partager avec eux. 
 
Conscients de certaines limites reliées au développement des structures mentales à cet âge (de la pensée opératoire concrète à la pensée opératoire formelle) nous avons choisi d’utiliser des moyens concrets et un support technique (tel l’audio-visuel) pour construire dans un premier temps un champ de perception et d’appréhension d’une connaissance de soi en tant qu’être sexué et sexuel pour ensuite élaborer et échanger sur les acquis nouveaux. 
 
 
MARDI 20 JUILLET 2010 
Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 2e partie 
PHILOSOPHIE D’INTERVENTION 
 
Nous avions au départ, notre vécu d’homme et de femme, tout un arsenal de questions-réponses acquis au fil des ans. Nous étions conscients de la distance qui nous séparait des adolescents. Signant, la différence entre les générations, cette distance est nécessaire à l’adolescent pour qu’il puisse se situer et choisir les modèles auxquels il pourra s’identifier. 
 
Nous ne sommes pas spécialistes des questions sexuelles de l’adolescence. Nous avons choisi un tout autre chemin. Nous avons voulu créer un lieu où l’adolescent pourrait exprimer son questionnement par rapport à sa sexualité. Nous ne voulions pas faire écran, mais plutôt être à l’écoute. Ainsi les adolescents furent tout au cours de cette expérience les guides, ceux qui détenaient le fil conducteur; notre mandat était d’écouter, de comprendre, d’élucider avec eux. Tâche qui n’est pas de tout repos, car confrontés au vécu sexuel des adolescents nous étions parfois désarçonnés. L’intensité des conflits pulsionnels à cet âge ainsi que le flou relié à l’espace que l’adolescent occupe, ébranlaient nos anciens mécanismes de défense (refoulement de l’intensité de notre propre vécu sexuel); nous avons dû faire notre processus dynamique de connaissance au sens étymologique du terme c’est-à-dire une démarche de co-naissance. 
 
L’adolescence interroge tant les problèmes d’identité sexuelle que ceux plus vastes de l’identité, soit précisément la capacité d’autonomie, c’est-à-dire être capable de s’ « individuer » et de s’« auto-nommer ». 
 
Notre groupe s’adressant à des jeunes qui en plus de traverser l’adolescence vivent en même temps d’importants problèmes psychiatriques, il nous faut ici nous arrêter à cette autre dimension de leur vécu. 
 
L’adolescent malade est dans un « no man’s land ». Souvent son corps ne lui appartient pas. À cause des investissements massifs reliés aux désirs projetés sur lui, il dénie souvent « sa propre existence ». Il devient pubère sans qu’il le veuille et/ou qu’il y soit prêt psychologiquement. D’une certaine manière il est agressé par la physiologie. Ce hiatus s’inscrit dans son corps, ce corps nouveau et souvent étranger qui devient alors le lieu de projection d’importantes peurs, d’angoisses massives et d’un vécu inquiétant. Combien de fois, n’avons-nous pas été confrontés à des équations telles : « C’est lorsque j’ai commencé à être menstruée, que je suis devenue malade; j’ai donc essayé d’arrêter cela ». « Devenir grande c’est ne plus être le bébé de ma mère ». Il s’ensuit alors dans le réel, au moment des menstruations, toute une série de comportements pour le moins bizarres comme de ne pas s’assurer un confort minimum par le port d’une serviette sanitaire mais plutôt de boucher l’ouverture du vagin avec du papier de toilette. C’est également cette autre fille, mal à l’aise dans le groupe d’adolescents, ne pouvant s’exprimer, qui reproche aux garçons de parler de sexualité en présence des filles. C’est plus tard que nous comprendrons le pourquoi de ce malaise, lorsqu’elle dévoilera un « secret de famille bien gardé », soit des jeux sexuels avec des frères aînés; depuis, la présence des garçons gêne car tous les garçons sont pareils. En sourdine mais assez fort pour que nous entendions, des questions superficielles autour des changements biologiques et physiologiques, des questions qui passent par les stéréotypes : les filles parlent de leur désir d’être attirante et veulent plaire : nous remarquons tout un déplacement des préoccupations autour du sexe sur les parties visibles du corps par exemple, la figure, la taille; de la même façon les garçons se mesurent et comparent leur force. Très peu de questions sur leur anatomie, comme si savoir mieux pouvait introduire la notion de pouvoir faire, d’où une inquiétude sur leur capacité à être adéquat et compétent. 
 
Il nous semblait que les préoccupations des adolescents se situaient autour de la relation à ce corps, et à partir de là la question était : « comment être en relation à soi et à l’autre, compte tenu de tous ces changements et bouleversements ». Il s’agissait également d’aborder le sens personnel donné à ces changements, sens souvent « caché et gênant » car porteur de significations agressantes et interdites. Dire est une chose…bien plus difficile encore, trouver une écoute rassurante pouvant signifier qu’il est possible de connaître et d’habiter ce corps et de s’en faire un allié. 
 
 
LUNDI 19 JUILLET 2010 
Intervenir auprès d'adolescents perturbés - 1e partie 
L’expérience d’animation d’un atelier sur la sexualité avec des adolescents qui sont aussi des patients psychiatriques constitue d’après nos recherches un précédent. Elle fut, pour chacun des animateurs, fort enrichissante à plus d’un point de vue. C’est afin d’évaluer le chemin parcouru et d’envisager celui qui reste à inventer que nous nous sommes arrêtés pour écrire cet article. 
 
Les trois animateurs étaient convaincus depuis longtemps de l’importance de la sexualité dans la vie humaine et savaient à quel point l’adolescence constituait une croisée de chemins influençant grandement la vie adulte en ce domaine, comme en bien d’autres d’ailleurs. Ils leur apparaissaient donc important d’intervenir adéquatement, efficacement et prudemment auprès d’une population d’adolescents très perturbés. C’est alors que l’idée de travailler en triade leur vint à l’esprit, cette formule ayant déjà été expérimentée avec succès par l’un deux. La triade était mixte, cette formule ayant déjà été expérimentée avec succès par l’un deux. La triade était mixte au niveau des sexes et au niveau des professions. Très tôt des complémentarités et des connivences sont apparues; nous avons su que nous pouvions compter l’un sur l’autre dans un climat de confiance…et nous nous sommes parlés de nos adolescences respectives, comme si cela constituait un pré-requis pour être à l’écoute de celles des autres. Très tôt également nous avons compris qu’il y avait peut-être derrière notre motivation à organiser un atelier sur la sexualité ce désir « quasi parental » de faire en sorte que ce soit mieux pour eux que cela ne l’a été pour nous. Notre expérience s’inscrivait dans le vécu, c’est donc à ce niveau qu’il faut se situer pour en saisir toute la densité. 
 
Dans un premier temps nous suivrons les dédales que l’initiateur du projet a dû traverser avant que son idée prenne forme dans la réalité. Par la suite nous définirons notre philosophie d’intervention puis, nous regarderons les modalités pratiques de l’atelier. Enfin nous tenterons d’évaluer les retombées de cet atelier sur notre service. 
 
Publié par Eddy J. Constant Pierre