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Vieillissement.
JEUDI 23 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 11e partie
Bilan de l’expérience sur le plan professionnel et conclusion
L’observation de notre clientèle de personnes âgées de l’Hôpital de jour et notre expérience de groupe auprès de quelques clients nous ont enseigné que la menace venant du temps qui se rétrécit avec l’âge ne pouvait être ignorée dans l’intervention auprès des personnes du troisième âge. « Certains diront que la mort n’est pas le fait de la personne âgée; on peut mourir, en effet à tout âge. Pourtant, à la mort accidentelle ou de maladie s’ajoute celle, moins risquée et plus implacable encore, de la mort de vieillesse ».
En effet, une participante nous a dit en atelier qu’elle sent parfois la vie se retirer en elle, qu’elle n’est plus la même personne depuis qu’elle éprouve des déficits sensoriels. Elle se sent vaincue d’avance par cette atteinte perfide du temps.
À l’Hôpital de jour, la prise en charge de la clientèle s’effectue autour des atteintes fonctionnelles et de l’autonomie physique. Cette perception des besoins de la clientèle peut constituer, selon nous, un écran à la connaissance et à la compréhension des problèmes existentiels de ces personnes. Elle utilise une grille de lecture médicale des difficultés de la vie quotidienne en substitution à une grille de lecture sociale ou psychosociale. Dès lors, les difficultés de la vie quotidienne ne sont pas perçues comme des problèmes de morbidité individuelle et sont susceptibles d’être traitées comme telles. Cette grille de lecture médicale focalise les déficiences chez le client et encourage l’activisme thérapeutique.
La démarche que nous avons entreprise avec quelque personnes âgées de l’Hôpital de jour nous a démontré que celles-ci désiraient être acceptées dans la projection de leur être acceptées dans la projection des leur être et avec leurs problèmes existentiels. Elles vivent dans le regret du passé, lieu de leur identité perdue, et dans un présent destructuré par l’angoisse du futur. La prise en considération de toutes ces dimensions nécessite l’implication émotive de l’intervenant pour qu’il arrive à partager ces conflits avec la personne âgée.
Nous avons constaté par leurs propos que les clients avec qui nous avons vécu l’expérience faisaient semblant de se soumettre quand ils avaient le sentiment de ne pas être acceptés dans la projection de leur être. Ils adoptaient le stéréotype du bon patient, en demandant à l’intervenant d’oublier leur angoisse. C’était une façon pour eux de se maintenir dans le cadre du système social organisé, de continuer à jouer un rôle sans remettre en cause le savoir des intervenants. Ils se protégeaient contre ces derniers.
Cette attitude démontre qu’il ne peut y avoir de prise en charge en gérontologie sans que soient abordés les problèmes que posent la projection du vieillard et sa vulnérabilité au temps. À ce point de vue, nous pensons que notre démarche de groupe à l’Hôpital de jour devrait être systématisée.
MERCREDI 22 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 10e partie
Atelier 6 : Exercice simplifié pour identifier quelqu’un de significatif pour soi et la fréquence des rapports
Il s’agissait au cours de cet atelier d’amener les participants à identifier quelqu’un de significatif pour eux, c’est-à-dire quelqu’un à qui ils accordaient une importance plus grande et une signification particulière. Selon Poush-Tedrow, il s’agit d’une personne aimée, respectée et valorisée qui procure à l’individu plus qu’à toute autre personne, amour, respect et valorisation.
Les participants disaient entretenir avec leurs enfants des relations efficaces de qualité plus qu’avec toute autre personne de leur réseau personnel : ils les identifiaient aussi en premier lieu comme personnes ressources. Ils étaient en relation régulière avec leurs enfants par des visites dont la fréquence variait entre deux à quatre visites une fois par semaine. Selon leurs dires, ils ont peu d’activités avec leurs enfants principalement à cause de leurs déficits physiques.
Deux des participants n’ont pas d’enfants et ont identifié comme personnes significatives pour eux des amis de longue date. Les contacts avec ceux-ci sont plutôt téléphoniques, les visites sont rares. Ces deux participants ont reconnu avoir reçu à l’occasion des services du réseau socio-familial de leurs amis.
Les différentes formes de support identifiées par les participants peuvent se regrouper selon trois dimensions : une dimension affective, une dimension matérielle et une dimension normative. Nous emprunterons à Lucien Bozzini et à Roger Tessier la définition qu’ils donnent à chacune de ces dimensions.
1. La dimension affective.
« On peut aider quelqu’un en l’aimant, en l’écoutant, en le réconfortant émotivement. »
2. La dimension matérielle.
« On peut aider quelqu’un en lui facilitant l’accès à certaines ressources matérielles, en agissant pour ou avec lui dans l’environnement pour le modifier favorablement. »
3. La dimension normative.
« On peut aider quelqu’un en validant son comportement de rôle, en lui suggérant des comportements adéquats eu égard à des modèles et à des normes de façon, entre autres, à maintenir élevée son estime de lui-même. »
En fait, toutes les rétroactions positives venant de personnes significatives contribuent à augmenter l’estime de soi… La rétroactivité des personnes significatives est incorporée à la vue de la personne sur elle-même. C’est pour renforcer les perceptions positives des participants que nous avons été chercher leurs sentiments face aux relations entretenues avec les personnes significatives pour eux. Ils ont pu constater qu’ils recevaient beaucoup de rétroaction positive des gens qui les entouraient et qu’ils étaient considérés comme très importants pour beaucoup d’entre eux.
Les participants de cet atelier se considéraient en général comme des êtres valables qui sont satisfaits de ce qu’ils ont réalisé dans la vie pour eux-mêmes, pour leurs enfants et pour leurs pays.
MARDI 21 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 9e partie
Atelier 5 : Échange sur la façon dont se vivent les valeurs des années 1980 et rappels historiques de ses propres valeurs
Au stade de développement où il était rendu, le groupe connaissait une certaine intimité. Les participants s’exprimaient plus authentiquement sur leurs sentiments. Ils pouvaient aborder sans crainte excessive des sujets plus personnels, plus difficiles, tels que leurs peurs, leurs désirs, leurs banalités, leurs aspirations et leurs raisons de vivre.
Les participants à l’atelier appartenaient à cette génération qui avait des idées bien précises du bien et du mal et une éducation teintée de valeurs religieuses, du permis et de l’interdit, de ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas. Ils disaient avoir assisté à la mutation de leurs propres valeurs.
Les messages qu’ils recevaient des jeunes étaient qu’ils n’étaient plus dans la course. Leurs valeurs n’avaient plus cours. Ils n’appréciaient pas toujours l’éducation donnée à leurs petits-enfants et leur liberté excessive. Ils acceptaient mal la franchise de leurs propos ainsi que leurs comportements. Un participant a raconté qu’il tolérait mal que ses deux petits-enfants se servent dans son frigo sans sa permission. Il a avoué en même temps être plus irrité par l’attitude permissive des parents. Une autre dame a raconté avec humour son étonnement quand pour la première fois elle a croisé dans la rue des jeunes avec des cheveux colorés et des vêtements hétéroclites. Elle les a cru très instables et sans grande volonté de réussir dans la vie.
D’après les participants, le mode de vie actuel est dominé par une culture exclusivement orientée vers la jeunesse et ses valeurs.
Ils ont évoqué, pour étayer leurs affirmations, l’émergence d’un nouveau type de famille représenté par la jeune génération. Selon eux, ce type de famille est caractérisé par le travail de la femme à l’extérieur, et par le fait que celle-ci n’est plus identifiée à l’univers domestique. Les motivations de ces couples, d’après les participants, sont guidées par la recherche d’un plus grand bien-être matériel et l’accès à plus de loisirs. À l’opposé, les membres du groupe se sont félicités d’avoir pu élever de grosses familles dans des conditions plus difficiles que les couples d’aujourd’hui et sans aucune protection sociale. Nous avions renforcé chez eux le sentiment du devoir accompli et leur part énorme dans la construction de ce pays.
Ces changements qui sont survenus au niveau du couple s’accompagnent de problèmes sociaux que les participants disent n’avoir pas connu de leur temps. Il s’agit de la baisse généralisée de la durée des mariages, de l’augmentation du nombre d’enfants issus de ces foyers brisés et du taux élevé de délinquance juvénile qui en résulte.
Les participants avaient le sentiment que l’épanouissement individuel était à la mode et que le souci de la parenté était devenu secondaire. Ils avaient l’impression de gêner. Mais ils ont exprimé tout cela avec un sourire ou par une boutade.
La vie actuelle leur semblait bien compliquée; ils voyaient les jeunes sans emploi et parallèlement, le monde de la consommation qui les entourait. Comment s’en sortir? D’un côté, ils voulaient avoir tout tout de suite, mais de l’autre ils manquaient de moyens. Ils estimaient que les choses étaient plus claires de leur temps; ils devaient travailler dur, parfois dès l’âge de 14 ans, mais ils ne ménageaient pas leur peine alors que maintenant il leur semblait que la notion d’effort a disparu.
Les participants traduisaient par ces propos l’anomie de la société actuelle, son absence de normes.
La grande majorité des membres du groupe croyaient que le système de crédit diluait l’effort des jeunes, parce que s’endetter faisait partie des mœurs. Ils pensaient que la valeur sociale du travail n’est pas une préoccupation majeure pour les jeunes.
Les participants à l’atelier ont exprimé un certain désarroi et un sentiment d’insécurité face à l’agression venant de ces valeurs nouvelles auxquelles ils n’arrivaient pas à s’adapter et ne le voulaient pas non plus. Ils étaient sûrs de leurs convictions. Néanmoins, ils ne contestaient pas ouvertement ces valeurs, ils ne luttaient pas contre elles; ils les contournaient simplement ou pratiquaient l’évitement. C’est une attitude faite de distance intérieure, de résistance passive qui permet d’être étranger à ce qui paraît gênant.
Michel Maffessoli constate que cette attitude donne lieu à un « …rétrécissement sur le quotidien pour se protéger contre ce qui est extérieur ou surplombant ». En fait, le propre de cette attitude est de favoriser la préservation de soi.
LUNDI 20 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 8e partie
Atelier 4 : La signification du passé dans le présent vécu : le passé est invoqué comme support au présent
Il s’agissait dans cet atelier d’aider les participants à rassembler leurs forces pour pouvoir sauvegarder et protéger leur moi et mieux faire face au présent. C’est dans leur vie passée qu’ils ont trouvé cette base.
En effet, presque tous les participants vivaient le présent en référence à leur passé. Nous avons ressenti dans ce qu’ils ont exprimé que le passé était le lieu de leur identité sociale et individuelle.
Qu’ils proviennent d’un milieu rural ou de Montréal, les participants ont dit que leur identité était liée à leurs familles, à leur parenté et que la tradition leur dictait ce qu’ils devaient faire de leur vie.
Les histoires de vie des participants sont constituées de nœuds formés par les événements cruciaux comme l’âge d’entrée sur le marché du travail, le mariage, les décès et la grande dépression de 1929. Ils se sont exprimés sur ces faits qui ont ponctué leur vie comme ces vieilles dames dont nous a parlé Christian Combaz dans l’Éloge de l’âge : « …enfin toutes ces choses qui vous dévorent l’âme à trente ans et dont vous n’avez pas le cœur à rire, deviennent presque plaisanterie à soixante-dix. » (…) « Des fois, je me dis que c’est quelqu’un d’autre qui a vécu tout ça… ».
Une veuve de 75 ans a raconté qu’il était très courant dans son milieu que les jeunes soient impatients d’atteindre l’âge de 14 ans pour aller travailler, ceci dans l’unique but de participer à l’économie de la famille et à l’amélioration de son bien-être matériel. Elle dit s’être débrouillée toute sa vie avec peu de moyens.
Son expérience de vie lui a appris à aborder avec frugalité les problèmes existentiels et elle peut maintenant se contenter de joies simples. Peu de participants se sont plaints d’ailleurs d’insuffisance de revenus, bien que ceux-ci se limitent à une simple pension.
Les femmes du groupe ont échangé avec fierté sur leurs habiletés passées à refaire les vieux vêtements, les vieilles literies afin de reculer l’échéance de l’usure. Elles se sentaient complices; pouvoir faire de l’économie dans les choses courantes était une grande satisfaction dans leur vie. Le temps de ces femmes a toujours été captif des soucis familiaux et du travail.
Un homme de 75 ans, survivant d’une famille de cinq frères et sœurs, s’est exprimé ainsi en regardant les vieux albums de famille : « J’ai l’impression d’être le seul rescapé d’une catastrophe ». Il a ainsi souligné les effets néfastes du temps. Nous avons surtout exalté son courage et sa ténacité pour avoir su affronter toutes ces pertes. Suite à notre intervention, d’autres participants ont exprimé leurs sentiments dans le même sens, en se référant à leurs expériences personnelles. Ils se sont félicités d’avoir eu une bonne dose de courage pour affronter tous les événements de leur vie. En l’actualisant, ils pensaient pouvoir poursuivre avec la même détermination.
VENDREDI 17 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 7e partie
B. La répétition dans la quotidienneté
Nous vivons tous de la répétition dans notre vie de tous les jours. Notre univers spatio-temporel est structuré jusqu’à la retraite en fonction de l’objet du travail, l’heure du lever, du déjeuner, du transport, de la tâche à accomplir, des pauses et des départs. L’activité de travail est le structurant de notre vie quotidienne. Cependant, nous comprenons difficilement comment des personnes âgées qui jouissent de la possibilité d’occuper leur temps comme elles le désirent s’imposent une ponctualité même si personne ne les y oblige, une répétition dans les moindres gestes de leur vie que d’autres adultes actifs prendraient pour une contrainte.
C’est à ce type d’organisation quotidienne de leur vie que les participants aux ateliers sont confrontés. La routine commande presque tout : leurs gestes quotidiens, leurs courses, leur promenade, la récupération du courrier, le ménage, l’achat du journal, l’usage de la télé, etc., s’effectuent aux mêmes heures. Leurs journées sont stéréotypées et semblent se ressembler.
En effet, par leurs rituels de vie, ils ont tendance à immobiliser la vie autour d’eux. En d’autres termes, on peut dire qu’ils effectuent des mouvements en cercle pour ne pas s’éloigner de leur base. Ils semblent de prime abord vivre dans un présent statique, parce qu’ils ne remarquent plus les changements.
Au fur et à mesure que les participants s’impliquaient émotivement dans le déroulement de l’atelier, nous nous sommes aperçus que la routine ne leur était pas désagréable, que la répétition était une façon pour eux de ruser avec le temps, une façon de se protéger contre le temps qui passe et de gérer son angoisse face à l’accélération du temps. C’est une forme de résistance.
Michel Maffessoli nous suggère de « …comprendre la répétition comme la négation du temps » (…) « elle accentue le présent et son vouloir vivre. Répéter revient à nier le temps, c’est le signe d’un ‘non-temps’ qui caractérise le concret de la vie quotidienne, l’instant vécu ».
La répétition transforme le présent en une éternité, elle fait vivre les participants dans l’intemporel. « L’éternel retour permet à la vie sociale et individuelle de se rejouer toujours et nouveau. En ce sens, le passé et le présent maîtrisés comportent un présent éternel ».
Nous avons renforcé les sentiments exprimés voulant que la répétition apaise l’esprit des participants, les sécurise et peut être le lieu de la préservation de soi. Elle permet aussi de donner significations aux multiples situations et pratiques quotidiennes car « …dans la répétition s’exprime un relativisme créateur ». « La répétition archétypale ne signifie pas forcément stagnation, car il peut y avoir dans celle-ci réappropriation effective et originale de pratiques et de situations qui s’enracinent fortement dans une qualité de vie ».
JEUDI 16 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 6e partie
Nous avons approfondi avec les participants cette dimension de la transcendance de soi évoquée par l’exemple précédent et nous les avons amenés à réfléchir sur une vision de la mort comme le prolongement de soi dans les autres.
Deux des participants ont pour leur part fait valoir des points de vue différents. Ils nous ont expliqué l’importance pour eux d’éviter de trop gesticuler dans leur vie de tous les jours. Ils ressentent le besoin de diminuer leurs activités, grandes consommatrices de temps, pour mettre l’accent sur les demandes qui leur sont faites sur leur temps et qui leur procurent des satisfactions existentielles, du plaisir ou une certaine utilité.
Prenons comme exemple le cas de cette dame célibataire de 78 ans. Elle habite seule un logement voisin de celui de sa nièce qui lui fournit de l’aide pour l’entretien ménager. Elle dit passer la majeure partie de ses journées à lire et avoue ‘bâcler’ les tâches ménagères qui ne l’intéressent pas. Elle a déjà subi une opération pour un glaucome qui a été un échec mais, malgré son handicap visuel, elle concentre ses efforts pour satisfaire son plaisir de lire en utilisant toutes sortes de matériel de compensation visuelle qu’elle achète ou qu’elle se fabrique. D’un autre côté, elle ne prend plus la peine de se préparer des repas élaborés, se limitant à l’essentiel.
Cette femme nous a donné l’impression de mener une vie réellement épanouissante malgré ses déficits. Au cours de cet atelier, nous avons fait remarquer aux participants que le fait pour eux de s’abandonner à des sentiments négatifs, comme la démission face aux difficultés de l’existence et les sentiments d’inutilité, les soumettait aux influences de ces sentiments. Nous les avons amenés à prendre conscience qu’ils pouvaient au contraire se laisser gagner par ce qui les entoure, qu’ils pouvaient rechercher les environnements et les circonstances qui donnent du plaisir à l’existence. Nous les avons encouragés à s’aménager en espace vital pour rendre le quotidien plus agréable et acceptable.
Pour accomplir cela, certains membres du groupe ont souligné qu’ils se butaient à leurs déficits fonctionnels. Nous avons émis l’idée qu’il ne fallait rien exiger de son corps qui ne fût à sa portée, qu’il fallait apprendre à vivre avec ses capacités d’autonomie restantes. « On peut continuer à aller au bingo en fauteuil roulant avec l’aide de bénévoles ou du transport adapté », comme l’a souligné un des participants.
MERCREDI 15 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 5e partie
A. le vécu quotidien
Quatre des six participants ont exprimé sur le vécu quotidien des réactions que l’on peut regrouper autour des trois idées suivantes :
L’appréhension face à la journée qui commence
Dès les premières heures de la matinée, les participants disent voir se dérouler leur journée avec ses problèmes et éventuellement ses crises. Ils se sentent habités par les menaces de circonstances plus âpres et plus impitoyables, comme la réactivation de malaises physiques, de difficultés de fonctionnement, de solitude, etc.
Les frustrations par rapport à l’accélération du temps.
Les participants se fatiguent de constater qu’ils n’avancent pas dans une journée et que le temps passe plus vite. Ils attribuent cela au fait qu’ils ont moins de capacités physiques pour effectuer les mêmes tâches qu’auparavant, qu’ils se fatiguent à les accomplir et prennent donc plus de temps pour y arriver. Ils s’énervent à penser qu’à la fin de la journée, ils n’auront pas eu le temps de faire ce qu’ils avaient prévu de faire. Effectivement, une partie du travail reste inachevée à cause de leur épuisement et, en le constatant, ils sont quelque peu pris de panique à l’idée de ne plus pouvoir maîtriser leurs activités quotidiennes.
Le sentiment que plus ils avancent en âge, plus le temps est limité.
Au cours de cet atelier, il s’est dégagé chez les participants le sentiment très net que leur propre durée est comptée et que chaque jour qui passe ampute ce qui en reste. « Le temps n’est plus pour eux un chemin que l’on suit mais un panier où l’on puise ».
Les récits des faits quotidiens par les participants ont traduit cette tension qui existe entre la conscience de leurs limites et le vouloir de vivre. Ils ont exprimé un scepticisme sans illusion sur ce qui leur reste encore à entreprendre. Pour certains, il est trop tard pour tout.
Les propos d’une dame de 70 ans sont révélateurs. Cette personne est veuve, vit seule et sans enfant. Elle souffre d’arthrose à un degré avancé et a connu un épisode d’accident cérébro-vasculaire; elle circule en fauteuil roulant. Elle nous dit que les seuls signes tangibles du passage du temps pour elle sont la prise de médicaments et les repas. Ses contacts avec l’extérieur se limitent à ses traitements à l’Hôpital une fois par semaine et aux visites de son frère. Son attente face à la vie est de voir son unique nièce terminer ses études universitaires et se marier. Elle se projette dans celle-ci, mais elle craint que ce projet qui s’inscrit dans le futur ne soit pas réalisable. Cette dame a trop conscience de ses limites pour prétendre agir sur les événements.
MARDI 14 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 4e partie
Sélection des participants
Les futurs membres des ateliers de groupe ont été choisis parmi les clients du service social de l’Hôpital de jour. Leur sélection s’est fait en fonction des plaintes et des insatisfactions exprimées face à un vécu du temps présent non significatif par rapport à leur passé. Ces mêmes clients disaient avoir de la difficulté à maintenir les acquis obtenus à l’Hôpital de jour.
La plupart des bénéficiaires sélectionnés se connaissaient, ayant déjà eu l’occasion d’échanger à la salle d’attente de l’Hôpital de jour. Chaque participant a été informé des objectifs du projet au cours d’une rencontre individuelle et a été invité à faire un investissement affectif dans les ateliers. Nous lui avons précisé à cet égard qu’il devrait échanger sur les événements significatifs de son passé, sur les hauts et les bas de sa vie de tous les jours, sur sa perception des gens qui l’entourent et sur les valeurs qui se vivent actuellement.
Nous avons sélectionné six femmes et deux hommes ayant entre 70 et 78 ans. Deux des femmes sélectionnées se sont désistées, l’une pour des raisons de santé et l’autre ne se disant pas prête à faire une telle expérience de groupe.
Les animations ont eu lieu les vendredis de 13h30 à 15h00, le transport étant assuré par l’Hôpital de jour.
Analyse des ateliers
Nous avons eu sept rencontres d’animation avec le groupe. Cependant, nous ne nous proposons pas d’analyser dans cet article l’ensemble de ces rencontres. Notre attention se porte plus spécifiquement sur les ateliers 3, 4, 5 et 6 qui, selon nous, ont le plus favorisé l’expression du vécu émotionnel des participations face au passage du temps présent. L’atelier 7 était un atelier contrôle : il reprenait une activité de complétion d’un test qui s’est déroulée à l’atelier 1.
Atelier 3 : Les réactions affectives des participants envers le vécu quotidien, les gestes quotidiens, l’organisation et la planification de la vie quotidienne.
Cet atelier avait pour but, d’une part de favoriser l’expression des affects sous-jacents au mode de vie actuel des participants et de renforcer leur satisfaction à ce sujet. Il visait, d’autre part, à éveiller les participants aux possibilités de satisfaction dans la vie quotidienne.
Les membres du groupe ont fait un bref retour sur le deuxième atelier pour dire que ceux de leur génération qui se bercent à longueur de journée en répétant : « Je suis malade » connaissaient déjà la mort psychologique parce qu’ils n’avaient aucune motivation à entreprendre quoi que ce soit.
Les échanges entre les participants dans cet atelier ont été principalement tournés autour de deux axes majeurs de discussion : le vécu quotidien et la répétition dans la quotidienneté.
LUNDI 13 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 3e partie
Objectifs
Dans cette expérience de groupe, nous avons poursuivi les objectifs suivants :
1. Faciliter une meilleure adaptation sociale et psychologique des participants au passage du temps présent :
2. Les aider à donner plus de consistance et d’orientation à leur vécu quotidien;
3. Les amener à valoriser les éléments favorables de leur environnement et de leur autonomie physique.
Sous-objectifs
Les trois sous-objectifs suivants devaient nous permettre d’atteindre les objectifs que nous venons d’énumérer :
• Aider les participants à assumer le deuil de ce qu’ils ne sont plus pour qu’ils puissent davantage investir dans ce qu’ils sont encore. En d’autres termes, nous avons cherché à les amener à regarder ensemble ce qui leur est encore possible plutôt que d’insister sur ce qui ne l’est plus.
• Les encourager à prendre confiance en leurs moyens.
• Leur faire prendre conscience que le fait de vieillir ne doit pas rendre passif, désengagé, résigné et qu’on peut avoir un vécu de satisfaction relié au quotidien.
Moyens
Afin de transformer la situation actuelle que vivent certains clients de l’Hôpital de jour et atteindre les objectifs que nous venons de décrire, nous avons choisi d’organiser des rencontres hebdomadaires de groupe d’une durée d’une heure et demie. Nous avons sélectionné six à huit patients parmi notre clientèle de l’Hôpital de jour pour composer le groupe.
Au cours des rencontres hebdomadaires, nous avons voulu amener les participants à échanger sur leur fonctionnement quotidien. Les échanges ont été axés sur le mode de vie actuel des participants, sur des rappels historiques des événements et des expériences de leur passé et sur la façon dont ils ont résolu les crises et les problèmes du passé. Cela devait, nous l’espérions, valoriser leur capacité de survie, leur courage, leur détermination, leur ténacité, leur endurance et, de façon plus générale, la manière dont ils avaient affronté jusqu’à présent les événements de leur vie.
VENDREDI 10 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 2e partie
Pour E. Casseus, l’intervenant auprès des personnes âgées devra donc aider celles-ci à restructurer leur identité perdue par une relecture de leur passé, comme il devra tenir compte des affects sous-jacents au sentiment d’un avenir qui rétrécit et qui fuit. C’est là tout le soutien à apporter au vécu émotionnel du temps des personnes âgées de l’Hôpital de jour pour faciliter leur adaptation dans le temps présent et faire en sorte qu’elles actualisent leurs potentialités et ce, pour mieux profiter des traitements et éviter le repli sur soi et la régression, ces personnes étant aux prises avec des perspectives d’avenir qui évoquent pour elles l’idée de la mort, le sentiment de finitude et de néantisation.
Deux chercheurs québécois font remarquer dans une étude que les sujets québécois (de cette étude) éprouveraient des difficultés relativement sérieuses, presque problématiques, à vivre dans le présent, à être assidûment en contact avec leur vécu immédiat et donc à en prendre conscience et à agir en fonction de lui.
Selon ces chercheurs, les personnes âgées participantes « …auraient plutôt une tendance non actualisante à vivre soit en fonction du passé fait de regrets, de nostalgie, de sentiments de culpabilité ou de ressentiment, soit en fonction de l’avenir avec des attentes, des anticipations, des projets idéalistes, des appréhensions ». S’appuyant sur cette recherche et notre connaissance de la clientèle, le projet part de l’hypothèse selon laquelle les personnes âgées ont une tendance à vivre en fonction du passé et nourrissent des craintes face au futur. Nous tenterons cependant, par notre démarche de groupe avec les participants, de renforcer le sentiment d’exister dans le présent.
Nous avons observé que l’attitude de certains bénévoles de l’Hôpital de jour face au temps n’encourageait pas les bénéficiaires à maintenir leurs acquis. Selon le point de vue qu’ils ont exprimé, leur suivi à l’Hôpital ne représentait qu’un acte ponctuel, une simple sortie. Leurs propos illustrent que ces personnes ont tendance à désinvestir et à adopter une attitude de vie qui peut se résumer à : « À quoi bon ? »
Notre observation de la clientèle nous a permis aussi de constater que celle-ci désire donner plus de consistance, de vigueur et d’orientation à sa vie de tous les jours. Ces personnes expriment le besoin de reprendre confiance en leurs moyens, leurs capacités de survie, leur courage et leurs convictions pour continuer à mieux affronter la vieillesse. Elles souhaitent pouvoir revaloriser les éléments favorables de leur environnement et de leur autonomie physique.
C’est pour faciliter l’adaptation sociale et psychologique de cette partie de la clientèle de l’Hôpital de jour au passage du temps présent que nous avons entrepris la démarche de groupe dont nous vous présentons maintenant les résultats.
JEUDI 9 SEPTEMBRE 2010
Vieillissement et le moment présent - 1e partie
Le vieillissement et le moment présent
« …la personne âgée a conscience, d’une certaine façon, du rapprochement du
terme de son existence. Cette angoisse de mort quasi constante chez le sujet
vieillissant n’a pas de traitement spécifique : seule l’écoute bienveillante
avec son contact de sympathie réelle peut l’adoucir ».
En effet, nous avons observé que la question centrale, pour certaines personnes âgées de notre clientèle à l’Hôpital de jour, en est une qui a trait à leur vécu émotionnel du temps comme facteur lié à l’idée de finitude, de néantisation et à la remise en cause de l’identité personnelle et sociale.
Selon-Houde : « Le sens du temps joue une rôle dans la transformation de l’identité au cours de la vie adulte ». Elle émet l’hypothèse qu’à partir de 50 ans, c’est la vie dirigée de l’intérieur qui prévaut, l’intériorité de l’être prenant le dessus sur les autres préoccupations.
Pour cette auteure, cette transformation de l’identité coïncide avec la formation d’un cadre de référence non compétitif qui prend parfois les accents de l’expérience religieuse. La personne en vient à s’accepter davantage : « C’est ainsi que va le monde. Et me voilà comme je suis ». Elle le fait sans pointe de résignation, mais au contraire avec une reconnaissance positive : « C’est moi ça », appuyée par le sentiment que le sens que l’on donne aux choses réside à l’intérieur de nous-mêmes.
Cette intériorité est renforcée aussi par le fait que l’horizon des personnes âgées est restreint parce qu’il est très rapproché de leur espérance de vie et de la fin de leur existence. La projection dans le futur est limitée comme ‘un fond’ qui n’a ni contours ni limites et provoque un sentiment de néantisation; il se désorganise aussi comme projet. Leurs préoccupations se situent le plus souvent dans un futur relativement très rapproché.
« L’avenir devient une instance temporelle qu’il faut repousser ou, du moins, ne plus considérer. L’avenir sera certainement, par la charge anxieuse qui l’accompagne, un élément de crise et de destructuration de la notion de présent. Il s’agira donc d’une perte de l’identité qui s’y rattachait et d’une impossibilité d’exister, de se savoir exister ».
Publié par Eddy J. Constant Pierre